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peler « mes robustes espérances. » Nous verrons à qui d’eux ou de moi l’avenir se réserve de donner raison. Frappé du coup mortel, Charles XII porta, dit-on, la main sur la garde de son épée. Devons-nous, pour une blessure moins profonde que celles tant de fois infligées à d’autres nations par nos armes, nous coucher dans la tombe et désespérer de la fortune de la France ? Je ne sais ce qu’il adviendra, pendant la phase si critique que nous traversons, de l’organisation de notre armée ; je crois pouvoir dire avec quelque assurance ce que doit être aujourd’hui celle de notre marine.


VI.

Pour arriver au but, il n’est pas indifférent du bien choisir son point de départ ; la meilleur raisonnement ne conduira qu’à une conclusion fausse, s’il n’est pas appuyé sur un principe juste. Quel est le principe sur lequel il faut baser l’organisation de notre marine ? Sur ce principe qui fut vrai de tout temps et qui l’est devenu cent fois plus aujourd’hui : la marine n’est ni dans les colonies, ni dans les arsenaux, elle est dans ce qui flotte. Il faut que les colonies aillent chercher ailleurs que dans notre budget le moyen de dissimuler ou d’aligner leurs dépenses ; il faut que l’arsenal perde le sentiment de son importance, et devienne le très humble serviteur du vaisseau. « Tous, tant que nous sommes ici, disait en 1837 l’amiral Lalande, alors préfet intérimaire à Brest, nous ne sommes que les serviteurs des serviteurs de Dieu. Nos ressources, nous ne les accumulons que pour les dispenser à ceux qui doivent s’en servir ; il ne faut juger un port ni par ses ateliers, ni par ses magasins, il faut le juger par ses armemens. » Ce langage était sage, il contient dans sa brièveté tout un programme. Pour que les passions si naturelles au cœur de l’homme ne vinssent pas en gêner la pratique, je voudrais que l’histoire n’enregistrât jamais une bataille navale sans dire : Les vaisseaux qui ont combattu avaient été construits par tel ingénieur, armés par tel préfet maritime ; ils étaient commandés par tel amiral. Quant au ministre, tout succès doit tourner à sa gloire, et, quand une opération réussit, il est incontestablement le premier à récompenser. Le vainqueur n’est que son mandataire et son obligé. Pourquoi l’opinion s’empresse-t-elle de le lui donner pour rival ? Compétitions mesquines qui n’enfantent certes pas de refus de concours, mais qui aigrissent les esprits et sont faites pour alarmer le patriotisme !

Quand on s’occupe d’un travail quelconque d’organisation, on serait tenté quelquefois d’envier le sort des nations chez lesquelles tout est à créer et qui n’ont pas à se débarrasser des ronces dont le temps a obstrué nos chemins. Il faut si peu d’argent pour avoir une