Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/882

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

porte laquelle de ses idées les meilleures, les plus célébrées, et vous trouverez qu’elle a produit des résultats infiniment plus désastreux que le mal qu’elle se proposait de guérir. Par exemple elle a voulu affranchir la personne humaine des servitudes de la condition et du despotisme de la famille, et elle a créé cet état monstrueux de l’individualisme où l’homme, atome égoïste autant que faible, libre, mais impuissant, sans autre loi que lui-même, mais sans secours contre lui-même, tourbillonne autour des autres atomes, ses frères, se heurtant fréquemment à eux, ne s’y agrégeant jamais qu’accidentellement ou passagèrement. Justement préoccupée d’empêcher que l’autorité dégénérât jamais en tyrannie individuelle, elle a voulu réserver à l’état la souveraineté entière, et elle a créé une hiérarchie mobile de fonctionnaires dont le déplacement perpétuel compromet la bonne administration du pays et ruine les moyens d’action du pouvoir. Jalouse de substituer les droits du mérite et du travail aux privilèges de la naissance, elle n’a voulu admettre que des fonctions salariées, et elle s’est créé une race de serviteurs tièdes ou calculateurs qui lui ont donné juste autant qu’ils recevaient, et dont le zèle a presque toujours été en proportion des espérances. Elle a voulu soumettre le pouvoir ecclésiastique au pouvoir civil, et son fameux concordat, vanté comme une œuvre de sagesse et d’habileté, n’a abouti qu’à nous donner une église soumise et tolérée, encore plus haïe du préjugé populaire que si elle était une église d’état. De quelque côté qu’on regarde, l’avortement est complet, et l’enfant qu’elle a mis au monde, allaité par des doctrines d’une santé si douteuse, suçant le pus avec le lait, meurt de ce qui le fait vivre et vit de ce qui le fait mourir.

Aucun de ses principes n’a tenu ce qu’il promettait; mais ce n’est encore là que la moitié de la banqueroute; le pire de la ruine le voici : c’est que nous sommes désormais incapables de satisfaire, au moyen de ses doctrines, aux exigences de notre peuple. Bons ou mauvais, ces principes ont aujourd’hui épuisé leurs dernières conséquences; on peut défier la tête pensante la plus ingénieuse d’en tirer le plus petit corollaire ayant quelque valeur. Disons en toute assurance que le cycle de doctrines ouvert par le XVIIIe siècle a maintenant accompli sa dernière évolution; une nouvelle période s’ouvre, dont les doctrines sont peut-être nées déjà, mais dont le souffle dirigeant est encore incertain. Les marges sont pleines, le texte a tout envahi; il n’y a plus place pour le moindre iota. Cela étant, comment ferons-nous pour parer aux exigences des situations, lorsque notre peuple, toujours docile aux habitudes que lui a données la révolution française, viendra nous demander reformes et progrès? Comment lui ferons-nous comprendre que les doc-