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insouciance des enfans, et, imprudent comme eux, il aime à braver le danger. Quant aux Européens allant aux Indes, les périls de cette traversée seront plus grands pour eux que pour ceux qui retournent en Europe. Les premiers, forts de leur vigueur des climats tempérés, s’exposent sans précaution à ce soleil d’Asie dont quelquefois un rayon frappe de mort comme la foudre ; quant aux autres, ayant perdu toute énergie, atteints presque tous de maladies de foie et de dyssenteries chroniques, ils se bornent à trouver, — comme j’eus le triste privilège de le trouver moi-même dans cette mortelle traversée du mois d’août, — qu’il fait un peu plus chaud que d’habitude.

De Suez à Aden, huit jours. En quittant la première de ces deux stations, si le temps est beau, on apercevra à gauche, sur le rivage d’Arabie, quelques palmiers solitaires : ils couvrent de leur ombre bienfaisante les fontaines appelées les puits de Moïse. Quand l’air est transparent, on voit dans la même direction, mais bien loin à l’horizon, un petit nuage blanc, immobile : c’est le mont Horeb. Le Sinaï, quoique peu éloigné, mais plus avant dans le désert, ne s’aperçoit pas. En se rapprochant un peu plus du détroit de Bab-el-Mandeb, on découvre à droite les hauts plateaux d’Abyssinie, qui se détachent sur le ciel en masses sombres d’une grande majesté. La mer est généralement très calme sous ces chaudes latitudes ; mais, dès qu’elle devient un peu houleuse, une foule de poissons volans suivent en se jouant la marche du bateau. On fait peu de rencontres ; cependant à l’époque des pèlerinages de La Mecque on croise souvent de lourds bâtimens arabes encombrés de pèlerins. Comment tant d’hommes peuvent-ils vivre dans un si petit espace ? Il n’y a que les Chinois capables d’imiter de tels entassemens. Si nous rencontrions, au soleil couchant, un de ces navires, nous distinguions les passagers, debout sur les bordages, élevant simultanément les bras vers le ciel et se prosternant à plusieurs reprises dans la direction de la ville sainte des croyans. En somme, cette partie du voyage est des plus pénibles : on suffoque, et la nourriture est exécrable. On comprend qu’il soit difficile d’avoir des approvisionnemens frais dans la Mer-Rouge ; mais, lorsqu’on voyage en payant en moyenne cent francs par jour, on a le droit d’exiger une certaine variété dans les mets. Les vins en revanche sont à discrétion. Comme on abusait beaucoup de l’Aï mousseux, il a été décidé qu’on en donnerait aux passagers qui en demanderaient, mais en le leur faisant payer. La journée se passé d’ailleurs presque entièrement à table. Dès six heures du matin, on vous sert le thé sur la dunette ; c’est certainement le moment le plus agréable du jour, car l’eau de mer ruisselle largement sur le pont, l’air est