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bord, les journées s’écoulent avec une telle rapidité, que, à moins d’être sujet au mal de mer, personne ne songe à voir hâter le moment où l’on annoncera une halte nouvelle. Cependant, lorsque le capitaine de l’Addington nous fit dire qu’on découvrait les hauteurs de l’île, je vis bien que tout le monde était impatient de descendre sur cette terre magnifique.

C’est ici, nous disent les Hindous, que fut le berceau du genre humain ; il était difficile de le choisir plus riche et plus poétique. Les sables des fleuves de Ceylan roulent en abondance, enveloppés dans leurs gangues grossières, le rubis, la topaze, l’améthyste et des saphirs admirables ; on pêche sur ses côtés les plus riches nacres et les plus belles perles du monde ; la flore, secondée par une température à la fois humide et brûlante, atteint un développement prodigieux. Salomon aurait, toujours d’après la légende, envoyé prendre à Ceylan les bois précieux et odorans nécessaires à la construction de son temple. Du reste, pas de déception : au premier coup d’œil, on reconnaît qu’il n’y a rien d’usurpé dans la réputation de beauté qui a été faite à cette terre privilégiée. L’attoll charmant qui annonce l’entrée du port est à lui seul un vrai bijou. Qu’on se figure une roche de corail parfaitement circulaire, émergeant d’une mer d’un bleu méditerranéen, et au milieu de cette roche, s’élançant hardiment dans les airs, des bouquets de cocotiers aux panaches fantastiques ; ils ont été jetés là par je ne sais quel miracle, comme pour défier les vents de terre et de mer qui s’acharnent sur eux et les secouent sans repos. Ce qui ravit les yeux, lorsque du haut de la dunette des bateaux on découvre Ceylan et les grandes îles de la Sonde, Sumatra, Java et Bornéo, c’est l’aspect des montagnes. Quoique se détachant presque toujours sur un ciel d’une grande pureté, elles n’en sont pas moins enveloppées au sommet ou sur les flancs de vapeurs bleuâtres et flottantes. L’œil, fatigué d’un long voyage en mer, se repose certainement avec joie sur la verdure mélangée d’un jaune pâle des grandes forêts de cocotiers qui bordent le littoral, mais il va errer de préférence vers les sommets où flottent ces nuages légers. Le grand pic d’Adam, placé un peu à l’ouest de l’île, et sur lequel, d’après les traditions singhalaises, vint mourir notre premier père, est une des hauteurs les plus splendidement vaporeuses que l’on puisse rêver. Eve, que son époux dut abandonner dans la Mer-Rouge, a sa tombe vénérée par les musulmans à Djeddah ; mais cette tombe n’a pas pour encadrement les belles lignes de montagnes et les vapeurs bleuâtres qui, comme un encens toujours renouvelé, s’élèvent lentement du sein des vallées jusqu’aux régions où le premier homme rendit son dernier souffle.