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de la péninsule fixés dans ces parages. A Singapour, à Macao, dans toute l’Inde orientale, il y a des maisons portugaises dont les chefs occupent dans le commerce une position fort élevée. Des capitaines de la marine marchande du Havre et de Nantes, débarqués à Ceylan pour y déposer des charbons de Cardiff et de Newcastle, et qui, pour chargement de retour, prennent les riches épiceries des îles, de la Sonde, m’ont assuré avoir eu avec les maisons portugaises qui s’y trouvent des relations sûres et précieuses.

A Point-de-Galle, à quelques milles du lieu de débarquement, s’élève dans un bouquet de verdure un temple moderne du dieu Bouddha ; il faut le visiter, on y arrive par une route charmante bordée de grands cocotiers. L’idole est grossière, obèse, dorée de la tête aux pieds, d’une grandeur démesurée. les murailles de la pagode, qui s’élèvent en s’arrondissant en coupole, sont couvertes de peintures noires sur un fond doré ; elles représentent l’enfer et le paradis peuplés de toute sorte de personnages. Les rois, que l’on reconnaît à la couronne qui décore leur tête, ont été placés dans les plus mauvaises situations par le peintre implacable ; pas un de ces heureux de la terre, qui ne soit en train d’être décapité, pendu ou empalé. Le paradis, occupé sans partage par les pauvres, des banians ou des soudras, ne m’a paru être qu’un vilain endroit où les justes s’adonnaient aux joies promises par Mahomet à ses élus. Ce qui heureusement relève le bouddhisme, c’est que, comme dans la doctrine de Zoroastre, l’expiation sans fin des fautes commises sur cette terre n’existe pas, et je ne puis me lasser de constater cette croyance en la bonté sans limite des dieux que 400 millions d’hommes adorent.

Pendant notre longue visite au temple, nous n’y vîmes qu’une femme singhalaise ; elle couvrait les pieds énormes du dieu de bananes, de citronelle et des fleurs odorantes du gardénia. Je lui demandai si elle savait où étaient les servans du temple ; elle répondit en souriant, mais avec un mensonge mal déguisé, qu’elle n’en savait rien. Ils avaient dû se cacher à notre arrivée, car à Ceylan, comme dans toutes leurs autres colonies, les Anglais sont détestés, et les indigènes évitent leur contact autant qu’ils le peuvent. Je revins seul, un jour, voir le dieu Bouddha, et je surpris un prêtre dans l’intérieur de la pagode. Je le crus en prière ; mais, m’étant approché de lui, je vis qu’il recousait tranquillement un vêtement déchiré : il finit par confesser qu’étant bonze et tailleur en même temps, il vivait de la couture lorsqu’il ne trouvait pas à vivre de l’autel.

Nous traversons le golfe du Bengale et entrons dans le détroit de Malacca sur l’Achille, un des plus dorés et des plus élégans bateaux de la compagnie. Les passagers ont beaucoup varié de types