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favoris ; bon nombre d’entre eux étaient tout à fait du côté des Guises. Cette milice s’assembla lentement et témoigna du mauvais vouloir et de la mollesse. L’intervention des troupes devint indispensable. On introduisit, par la porte Saint-Honoré, les Suisses et les gardes-françaises, que l’on distribua par détachemens sur les ponts et sur différentes places. La Bastille fut mise en état de défense. Une collision était imminente ; on s’y attendait, et Paris présentait alors cet aspect sinistre que nous lui avons vu si souvent aux jours d’émeute. Les boutiques étaient fermées et les visages inquiets. Le roi envoya vainement plusieurs de ses officiers pour rassurer la population et faire rouvrir les boutiques. L’entrée des troupes étrangères fournissait aux excitateurs un nouveau sujet d’accusation contre Henri III. Les soldats en ces temps commettaient de tels excès que Paris regardait comme un de ses plus précieux privilèges de n’en point recevoir. Les 4,000 Suisses, dont les armes allaient être dirigées contre les habitans, étaient ceux-là mêmes pour lesquels le roi les avait imposés de 140,000 écus. Le peuple insulta les gardes-françaises, qui répondirent par des bravades ; on en vint aux mains. Les ligueurs coururent aux armes, et en un clin d’œil Paris se trouva hérissé de barricades ; on en élevait partout. Les femmes et les enfans y travaillaient sans bien savoir de quoi il s’agissait. Les troupes reçurent l’ordre d’attaquer les émeutiers ; mais, surprises et entourées, ayant dans certains quartiers à subir le feu meurtrier de leurs adversaires, elles en furent réduites à parlementer. Là où la lutte fut plus vive, les soldats furent écharpés par une multitude furieuse, et ceux qui échappèrent durent la vie à la protection du duc de Guise ; il leur permit de se retirer en bon ordre, tenant à montrer en cette occasion qu’il avait seul le pouvoir de maîtriser des masses indomptables, sur lesquelles le roi était sans action.


II

La révolution du 12 mai 1588 fut, comme on le voit, une première édition des révolutions de juillet 1830 et de février 1848. On retrouve, à deux siècles d’intervalle, les mêmes scènes et les mêmes péripéties. C’est toujours l’emploi des mêmes moyens et des mêmes stratagèmes de la part de l’insurrection, la même attitude équivoque de la garde bourgeoise, la même impéritie des ministres, la même audace chez ceux qui poussent à la révolte, le même génie révolutionnaire chez une population que l’odeur de la poudre enivre, et que les barricades amusent. Le tocsin sonne ; au XVIe siècle, on crie : au Louvre ! comme deux siècles et demi plus tard on criera : aux Tuileries ! Dans la masse des émeutiers apparaissent confondus des