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des leurs pour réclamer cette mesure et d’autres qui s’y rattachaient. Le duc de Guise s’étant rendu près de son oncle, les seize en profitèrent pour faire une nouvelle tentative, mais le lieutenant-général ne répondit que par de vagues assurances aux cahiers et aux discours assez insolens de la députation ligueuse qui était venue le trouver à Rethel. Les députés s’en retournèrent fort mécontens. Le parlement était le grand obstacle que rencontrait dans ses desseins la faction exaltée : aussi nourrissait-elle contre la haute magistrature un violent ressentiment. Dès le mois de février de cette année 1591, les seize s’élevaient contre la tyrannie de la noblesse et l’injustice des chefs de la justice. Ils saisirent toutes les occasions de violenter le parlement, et prétendaient, lui dicter des arrêts ; une fois même on vit le prévôt des marchands, La Chapelle-Marteau, se mettre à la tête d’une bande d’émeutiers pour contraindre la cour à relâcher un sergent, qui était du parti, et qui avait commis mille excès. L’affaire de l’avocat Brigard acheva d’exaspérer la faction, et la décidait à recourir à la violence. Cet avocat, jadis l’un des seize les plus actifs, avait eu l’imprudence d’écrire à un oncle, royaliste prononcé ; la lettre avait été interceptée, et on l’accusa de trahison. Le grand-conseil, à la tête duquel était Cromé, avait prétendu faire à Brigard son procès ; mais le parlement évoqua la cause, et au lieu de rendre une sentence de mort, comme le voulaient les zélés, il tira la procédure en longueur, et finit par acquitter le prévenu. C’était là aux yeux des seize un acte de rébellion contre la ligue. Il ne suffisait plus, comme ils l’avaient fait plusieurs mois auparavant, d’exiler quelques conseillers obstinés, il fallait, suivant l’expression de Pelletier, curé de Saint-Jacques, jouer des couteaux. En agissant ainsi, ils donnaient, disaient-ils, satisfaction aux bons catholiques, qui réclamaient un exemple. Les prédicateurs demandaient en effet depuis longtemps qu’on en finît par le meurtre avec la magistrature, qui trahissait. C’étaient eux qui poussaient le plus aux exécutions sanglantes ; ils ne parlaient que d’égorger, de jeter à l’eau, d’exterminer les politiques et les hérétiques. Leurs sermons avaient alors une action aussi funeste que, sous la terreur, les articles de l’Ami du peuple et du Père Duchesne. Quand leurs provocations à l’assassinat et au pillage redoublaient, c’était toujours l’indice que des mesures plus violentes allaient être adoptées par les seize. Il n’y avait que bien peu d’exceptions à cette perversité du clergé parisien. Quelques honnêtes curés, Moraines, curé de Saint-Merry, Chavagnac, curé de Saint-Sulpice, et surtout Benoît, curé de Saint-Eustache, cherchaient à retenir les fidèles dans les bornes de la modération, et condamnaient hautement ces fureurs. Ils se hasardèrent parfois jusqu’à traiter les meneurs de larrons et de mauvais chrétiens. Ce courage faillit leur coûter cher. Dénoncés