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fougueux sermons et se mirent à prêcher pour la paix. Mayenne et ceux qui tenaient officiellement pour la ligue eurent beau sévir, on ne s’inquiéta ni de leurs menaces, ni de leurs défenses, ni des arrestations, ni des billets de bannissement ; quand le colonel de milice d’Aubrai, l’un des chefs de la réaction, dut quitter la ville à la suite d’un ordre d’exil, il y eut à sa porte une telle cohue d’amis et partisans qui venaient l’assurer de leurs sympathies que ce fut pour l’ancien prévôt des marchands plutôt un triomphe qu’un deuil. La France avait bu jusqu’à la lie la coupe amère que lui avaient versée la folie des passions religieuses, l’égoïsme des ambitions princières, le dévergondage des fureurs démagogiques et l’intolérance des prétentions sacerdotales. La révolution du 15 mai 1588 n’avait abouti pour Paris qu’à la ruine. En courant à la conquête d’une liberté municipale, qui n’était qu’un moyen pour quelques ambitieux vulgaires d’imposer leur tyrannie, elle avait aliéné son repos, sa sécurité et son bonheur. Les bourgeois s’en apercevaient enfin. Les gens vraiment pieux comprenaient que la religion avait moins à craindre d’un roi bon et tolérant, bien que catholique peu convaincu, que d’une démocratie théocratique qui sacrifiait l’humanité à l’orthodoxie, et prétendait être plus catholique que le pape lui-même.

Il suffit dès lors à Brissac, quelques mois auparavant encore partisan décidé des seize, d’ouvrir la Porte-Neuve pour que l’armée royale fût maîtresse de Paris. Vitry, à la porte Saint-Denis, n’eut à repousser qu’une cinquantaine de mutins ; d’O jeta dans la rivière les lansquenets qui lui barraient le quai de l’École. Crucé, le curé de Saint-Côme et quelques hommes de la même trempe, tentèrent avec les minotiers, sur la rive gauche, une résistance désespérée ; ils appelèrent le peuple au combat, et parcoururent les rues en semant l’alarme. L’immense majorité demeura sourde à ces excitations, dont l’effet était usé ; elle n’y répondit que par les cris de vive le roi ! vive la paix ! et la ligue expira dans le quartier de l’Université, qui avait été comme son berceau. Le prévôt des marchands, Lhuillier, se hâta de présenter à Henri IV les clés de la ville. Ce prince fut reçu comme un libérateur par cette cité qui, quatre ans auparavant, n’avait pas contre lui assez d’outrages et de menaces ; il se rendit à Notre-Dame au milieu des manifestations les plus bruyantes d’enthousiasme et d’allégresse. Les magistrats et les officiers qui s’étaient jadis énergiquement prononcés contre le Béarnais protestaient de leur fidélité et de leur obéissance à sa personne. Les prédicateurs, qui lui avaient prodigué les injures, avaient poussé à son assassinat, entonnèrent ses louanges ; quelques-uns allèrent jusqu’à solliciter l’honneur d’être ses prédicateurs ordinaires