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noblesse du bailliage de Colmar, et le premier fait que je rencontre à son sujet dans les Notes biographiques de son fils est un trait d’honnête scrupule politique en même temps que de franchise libérale. On sait que le 25 juin 1789 quarante-sept députés de la noblesse quittèrent la salle de leur ordre pour aller se joindre à la réunion du tiers-état ; le jeune prince de Broglie fut, non pas l’un d’entre eux, mais l’un de ceux qui, trouvant dans le mandat de leurs électeurs un obstacle formel à une telle démarche, en témoignèrent un vif regret. Dès le surlendemain, le roi ordonna la fusion complète des trois ordres, et dans l’assemblée constituante ainsi formée le prince Victor de Broglie prit place parmi les généreux réformateurs qui n’hésitèrent devant aucun sacrifice ni aucun péril pour réaliser leurs patriotiques espérances. En rendant compte en 1828 dans la Revue française de son voyage en Amérique, M. de Rémusat disait : « Sous l’uniforme de ce militaire étourdi, on peut déjà reconnaître celui qui, malgré les liens de famille les plus impérieux, soutiendra, dix ans après, la bonne cause à l’assemblée nationale, tentera d’aller dans les camps défendre la révolution, même ingrate, mourra enfin frappé par elle, mais sans la trahir, et en recommandant à son fils de lui rester fidèle malgré ses injustices. La France sait que ce dernier vœu est accompli. »

Ce fut en effet la douloureuse destinée du fils du maréchal de Broglie de se voir placé, à la fin de sa courte vie, entre les rigueurs de son père et les orageuses ténèbres de l’avenir de sa patrie et de ses enfans. Après l’aveugle abdication de l’assemblée constituante, il voulut continuer de servir la France, et devint chef d’état-major de l’armée du Rhin, commandée d’abord par le maréchal Lückner, puis par le général Biron. Il avait pour aide-de-camp Desaix, alors simple lieutenant et au début de sa carrière ; l’illustre guerrier qui devint le maréchal Gouvion Saint-Cyr servait aussi dans cette armée ; c’est lui qui dit, dans ses Mémoires sur les campagnes des armées du Rhin et de Rhin-et-Moselle : « Le général Biron fut parfaitement secondé par son chef d’état-major, Victor de Broglie, officier d’un grand mérite, dont l’armée ne devait pas tarder à regretter la perte. » Aucun mérite ni aucune vertu ne préservaient alors des méfiances et des fureurs révolutionnaires. Survint le 10 août 1792. Le chef d’état-major de l’armée du Rhin protesta contre les décrets de l’assemblée législative ; il fut destitué, et le lieutenant Desaix avec lui. Il se renferma dans une profonde retraite. Il y fut poursuivi, arrêté, relâché, arrêté de nouveau. Il était las de se cacher et croyait n’avoir rien à craindre d’un procès public. Repris encore et conduit par la gendarmerie à Paris, il se refusait à un moyen de s’échapper, et ne sortit de la prison de la Bourbe, alors nommée Port-Libre, que pour monter sur l’échafaud le 27 juin