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j’en suivais avec une anxiété curieuse les premières explosions. Je n’oublierai jamais le soir où, tranquillement assis à l’Opéra-Comique, assistant à la représentation du Tableau parlant, vieille production de Marmontel et de Grétry, au moment où l’on chantait cette ariette :

Vous n’étiez pas ce que vous êtes,
Et vous étiez ce que vous n’êtes plus,


les applaudissemens éclatèrent de toutes parts, depuis le parterre jusqu’au paradis, et se renouvelèrent à plusieurs reprises. Que souhaitait le public qui se livrait à ces démonstrations ardentes ? Il n’en savait rien ; il ne pensait point aux Bourbons ; il n’appelait point les alliés de ses vœux, il ne songeait point à la régence ; il se passait simplement une fantaisie de colère. Arrive que pourra. »

Il arriva ce que le cours des choses rendit naturel et nécessaire, ce que l’ambitieuse et audacieuse sagacité politique de M. de Talleyrand avait prévu, et ce qu’il s’était tenu prêt à accomplir. Louis XVIII rentra aux Tuileries, rappelé par les sénateurs de l’empereur Napoléon, entouré de ses maréchaux, escorté par ses soldats. « Je me tins enfermé chez moi, dit le duc de Broglie ; je ne quittai ma retraite, qu’au bout de plusieurs jours, lorsque notre sort fut fixé, lorsque, faute de mieux, les corps de l’empire eurent disposé de la couronne, transféré notre allégeance d’un gouvernement à un autre, et préparé à la France un nouvel avenir. Depuis ce moment jusqu’au jour de la promulgation de la charte, 4 juin 1814, je suivis de l’œil la marche et les progrès du nouveau gouvernement, mais sans aucun effort pour m’en approcher, et me tenant plutôt à distance des personnes de ma famille et de ma connaissance qui s’y engageaient de plus en plus. J’étais néanmoins tenu fort au courant des délibérations du comité chargé de rédiger la charte, et cela par une circonstance singulière. »

Il était intimement lié avec un jeune auditeur comme lui, M. Pépin de Bellisle, qui vivait lui-même, depuis sa première jeunesse, dans la maison du comte Beugnot, alors ministre par intérim du gouvernement provisoire de la restauration, et tenant la plume, comme secrétaire, dans le comité de constitution désigné par le roi Louis XVIII. M. Beugnot était un homme très éclairé, très expérimenté, d’un esprit étendu, souple, sagace, d’une instruction très variée et d’une conversation charmante. « Nous allions chez lui, Bellisle et moi, presque tous les soirs, dit le duc de Broglie ; il nous racontait habituellement la séance du matin pour la rédaction de la charte, et nous lui faisions la guerre lorsqu’il faiblissait dans la défense des principes constitutionnels. Parmi les dispositions qu’il laissait passer sans trop de résistance, il en était une qui touchait