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d’exception, l’une pour la suspension de la liberté individuelle, l’autre pour le rétablissement de la censure des journaux, et une nouvelle loi des élections, furent aussitôt proposées. M. de Richelieu et ses collègues s’efforçaient en vain de ralentir le mouvement auquel ils obéissaient ; à la politique de confiance et de liberté progressive qui avait prévalu depuis l’ordonnance du 5 septembre 1816 succédait évidemment une politique d’alarme et de réaction.

« Attaché encore au ministère par un lien officiel, puisque plusieurs de ses membres étaient conseillers d’état, le petit parti doctrinaire, dit le duc de Broglie, se proposa pour règle de conduite de reprendre la position d’indépendance bienveillante qu’il avait en 1818. J’ouvris la marche, et je plantai le drapeau. Le 26 février, treize jours après l’assassinat du duc de Berry, cinq jours après la formation du second ministère Richelieu, je défendis nettement la loi de la presse, telle qu’elle avait été votée l’année précédente ; tout en faisant la part des circonstances, je ne concédai rien à la réaction. »

Dans la chambre des députés, M. Camille Jordan et M. Royer-Collard tinrent la même conduite, avec le même mélange d’indépendance et de mesure, de fidélité libérale et de tristesse royaliste. C’est un noble, touchant et douloureux spectacle que donnent des hommes éminens par le caractère comme par le talent quand ils s’efforcent de concilier des principes et des devoirs, je ne dirai pas contraires, mais profondément divers, et cela devant un public dominé par des passions ou des intérêts de parti, et auquel ils n’espèrent pas faire partager les délicatesses de leur conscience, ni les complications de leur pensée. Ce fut le spectacle que donnèrent en 1820, dans les débats politiques que je rappelle, quatre hommes naguère amis et faits pour l’être, d’un côté M. Royer-Collard, M. Camille Jordan et le duc de Broglie, de l’autre M. de Serre. Revenu de Nice le 17 mai, presque mourant, M. de Serre, qui était resté garde des sceaux, reprit part immédiatement aux discussions de la chambre des députés, surtout à celles dont la nouvelle loi électorale était l’objet. Sa situation y était très laborieuse et très pénible. « Délaissé, dit le duc de Broglie, par le côté droit, qui le détestait comme un transfuge du camp de l’émigration, et qui d’ailleurs trouvait plus facilement des assommeurs et des bâtons dans la rue que des orateurs et des argumens à la tribune, abandonné par le reste du ministère, au sein duquel son retour avait semé la division, et qui se cachait volontiers derrière lui, attaqué par le côté gauche avec une violence inouïe, en butte, — et légitimement sous plusieurs rapports, à l’indignation de ses meilleurs amis, il fit tête à tout et à tous avec un degré d’intrépidité, de sang-froid, d’énergie, de présence d’esprit, d’à-propos, qui n’a jamais été égalé peut-être