Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la clôture, dit le duc de Broglie dans ses Notes biographiques, je vis M. de Serre pour la dernière fois. J’étais à pied, je me dirigeais vers le Luxembourg ; il fit arrêter sa voiture, j’y montai. Nous échangeâmes quelques paroles tristes et solennelles. Il ne me dit pas qu’il venait de signer la destitution de MM. Royer-Collard, Camille Jordan, de Barante et Guizot. Je répondis à la lettre par laquelle il me l’annonça par une lettre pleine de regrets, mais par une lettre de rupture. Depuis ce moment, tout rapport a cessé entre nous. C’était un homme d’un grand talent et d’un grand esprit ; c’était une belle âme. En se trompant, s’il se trompait, il obéissait certainement à sa conscience. Nul n’a su comme moi ce qu’il était et ce qu’il valait. Dans un pays agité et oublieux comme le nôtre, ce qui ne brille qu’un instant passe vite et n’atteint guère la postérité même la plus prochaine. »

Je cours à travers les événemens : c’est la vie et le caractère du duc de Broglie, non toute l’histoire de son temps, que j’ai à cœur de retracer ; là où je ne rencontre pas une vive empreinte de lui-même, je ne m’arrête pas. Quelques jours avant la clôture de la session de 1820, il partit avec sa femme pour les eaux des Pyrénées, dont sa santé avait besoin. Vers le milieu de septembre, il quitta Cauterets, et après une promenade dans le midi de la France il arrivait à Coppet, où son beau-frère, le baron Auguste de Staël, l’attendait. Il trouva en Suisse, spécialement dans la Suisse française, un réveil religieux, et, pour parler avec précision, un réveil chrétien dont il fut vivement frappé. « Cette renaissance de la foi chrétienne datait déjà, dit-il, de plusieurs années : Mme de Staël l’avait vu naître en 1816 ; j’avais assisté alors à des discussions à ce sujet entre elle et sa fille. Celle-ci, très fervente et très sérieusement orthodoxe, n’avait fait, depuis notre mariage, que s’engager de plus en plus dans cette voie. La société de Genève et celle de Lausanne étaient partagées ; nos meilleurs amis s’attaquaient réciproquement avec une vivacité croissante ; il en était de même des pasteurs les plus accrédités. Mon beau-frère hésitait encore. Il n’y allait de rien moins en effet que du fond du protestantisme, même du christianisme ; il s’agissait de savoir si le protestantisme resterait un oreiller de paresse pour les âmes tièdes et de rêverie pour les âmes tendres, un rationalisme honteux de lui-même, une sorte de compromis, par je ne sais quel respect humain à double face, entre la sincérité des vrais philosophes et telle des vrais chrétiens. C’était là surtout ce qui me frappait. Je n’étais pas protestant, je n’étais pas même chrétien dans le sens rigoureux du mot ; comme la plupart des hommes de mon temps, je veux dire de ceux dont les sentimens étaient honnêtes et la conduite régulière, j’en étais resté, depuis ma première communion, à la profession de foi