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jusqu’ici. Ils sont d’un caractère doux, opposé à la chicane, fort avides d’honneurs, qu’ils préfèrent à tout le reste. La pauvreté est fréquente chez eux, il est vrai, mais sans être en aucune façon déshonorante. » Le vieux médecin, allemand Kæmpfer, qui a résidé de longues années avec eux, dit aussi : « Ils sont unis et paisibles, ils ont appris à rendre aux dieux le culte qui leur est dû, aux lois l’obéissance qui leur est acquise, à leurs supérieurs la soumission qu’ils méritent ; ils sont polis, obligeans, industrieux ; en fait d’art et d’industrie, ils surpassent toutes les autres nations. Ils habitent un pays excellent, enrichi par le commerce intérieur ; ils sont courageux, abondamment pourvus de tout ce qui est nécessaire à la vie ; en outre ils jouissent des fruits de la paix et de la tranquillité. » Lord Elgin, à son tour, confirme ces éloges donnés aux Japonais[1]. C’est après le retour des Européens dans ces parages que cette contrée, qui venait de jouir pendant deux cent cinquante ans « des fruits de la paix et de la tranquillité, » vit s’altérer cette paix précieuse.

On peut se rendre de Yokohama à Yeddo par mer comme par terre ; il est mille fois préférable de prendre cette dernière voie : la route devient charmante après la traversée du fleuve Logo, qui se fait dans un immense bac. On se figure en Europe qu’il y a encore aujourd’hui du danger à faire cette excursion : c’est une grande erreur, car tous les jours les Américains, de même que les Européens, habituent la population indigène à leur présence. On s’arrête généralement à moitié route, à Kavasaki, nom d’une charmante station ; elle est desservie par de gracieuses mousmées, ou femmes japonaises, dont les prévenances font croire aux voyageurs qu’ils se trouvent dans le plus hospitalier des gîtes européens. Une foule d’enfans espiègles vinrent, dès que nous eûmes fait halte, se grouper autour de nous, et nous saluer de leur joyeux ohaio ; l’intelligence de ces bambins, qui se lit ouvertement dans leurs yeux noirs, trop ronds à mon avis, m’a paru très vive, et leur gentillesse est au moins égale à celle des enfans européens. Ils chantent plus qu’ils ne parlent, et rien n’est plus divertissant que le babil de toute une école. Un de nous avait à la main un livre japonais illustré ; pour voir si les bonshommes qui nous entouraient savaient lire, il fit signe au plus petit d’approcher et de dire à haute voix la légende d’une des images. Il fit aussitôt très gentiment ce qu’on lui demandait, et, l’épreuve ayant continué sur tous les enfans qui se trouvaient là, pas un n’hésita à s’y soumettre, tous en sortirent

  1. La Chine et le Japon, mission du comte Elgin, racontée par Laurence Oliphant ; Paris 1860.