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bœuf devenait rare, le fourrage et l’avoine manquaient aux chevaux. Dès le 4 septembre, on distribuait à l’armée des rations de viande de cheval. Qui le croirait, si tous les témoignages ne l’attestaient ? — lorsque les premiers symptômes de la disette se faisaient déjà sentir, lorsque le sel atteignait un prix excessif, qu’il fallait abattre tous les jours 250 chevaux pour la nourriture des soldats, que d’autres animaux mouraient de faim, que la cavalerie se fondait à vue d’œil, que la nécessité d’une action vigoureuse et immédiate s’imposait à tous les esprits, — on laissait passer trois semaines sans entreprendre une seule opération militaire, si insignifiante qu’elle fût. On savait cependant que le gros des forces prussiennes marchait sur Paris, qu’on n’avait plus à craindre un retour en arrière de l’armée du prince royal, — que, les lignes d’investissement une fois percées, on ne rencontrerait nulle part, dans l’est de la France, une résistance sérieuse, que le moment était propice pour forcer le passage, ou, si on le préférait, pour obliger l’ennemi à lever le siège. Qu’a fait le commandant en chef de l’armée du Rhin pendant les trois semaines dont nos adversaires ne perdirent pas un jour ? Une proclamation vague adressée aux soldats, une dépêche insignifiante envoyée au gouvernement de la défense nationale, sont-ce là les seuls signes de vie qu’on doive attendre de notre meilleur général, de notre meilleure armée, à l’heure où 700,000 étrangers ont envahi la France ? Son rôle se bornait-il, comme il le dit, à attendre des nouvelles ? Est-ce à cela que se réduit l’initiative du commandant en chef de 140,000 hommes ? Il est instruit de ce qui se passe en France, non pas seulement, ainsi qu’il le prétend, par des journaux prussiens, ou par la bonne volonté des parlementaires, mais par des prisonniers français échangés avec des Allemands. Qu’a-t-il besoin d’ailleurs de plus de détails, de renseignemens plus exacts ? Le devoir du soldat n’est-il pas clair ? Paris fera ce qu’il voudra, le gouvernement de la défense nationale négociera la paix ou continuera la guerre. Quoi qu’il advienne, les obligations de l’armée de Metz restent les mêmes. Jusqu’au moment où elle sera informée d’un armistice ou d’un traité de paix, elle est tenue de se battre avec la dernière vigueur. Tous les efforts qu’elle fera, tous les succès qu’elle pourra remporter rendront la paix meilleure ou la guerre plus heureuse. Un Mac-Mahon n’eût point hésité ; au lieu de mendier des nouvelles auprès du prince Frédéric-Charles, il eût été en chercher l’épée à la main au quartier-général des Prussiens. Le général Trochu agissait plus fièrement à Paris, lorsqu’il refusait avec dignité les renseignemens que lui offrait M. de Moltke.

Le maréchal Bazaine ne se croyait pas tenu à tant d’héroïsme.