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sièges et des blocus un épisode plus triste que cet acharnement de l’autorité militaire à épuiser les ressources d’une placé dont elle avait pour mission spéciale de ménager les approvisionnemens et de prolonger la résistance ? Les habitans de Metz remarquent à ce propos, non sans amertume, que le comité de surveillance des approvisionnemens, qui eût dû être formé dès l’origine du blocus pour opérer le recensement des denrées alimentaires et en surveiller la conservation, fut réuni pour la première fois le 13 octobre, le jour même où on annonçait que les magasins militaires venaient de se vider. Ce comité, institué uniquement pour défendre les intérêts de la place, ne fonctionna donc point tant que la place avait besoin d’être défendue contre l’armée ; il commençait ses opérations lorsque, l’armée n’ayant plus rien, il n’était plus possible de lui refuser la mise en commun des réserves auxquelles elle n’avait d’autre droit que sa profonde détresse.

Des fautes plus graves encore sont reprochées par les Messins au commandant en chef. Que penser, par exemple, de la mesure extraordinaire qui prescrivait le 14 septembre d’employer le blé à la nourriture des chevaux de l’armée en le mélangeant soit avec du seigle, soit avec de l’avoine ? Des calculs minutieux n’évaluent pas à moins de 16,000 quintaux métriques la quantité de blé et de seigle qui fut ainsi retirée de la consommation. C’eût été assez pour fournir pendant un mois du pain mélangé à la population civile. Comment le jour où le maréchal Bazaine fut informé qu’il ne pouvait conserver sa cavalerie qu’à ce prix, à cause de la rareté du foin, ne prit-il pas la résolution immédiate de s’éloigner d’une ville dont il exigeait de si grands sacrifices, que la présence de son armée condamnait dans un délai de plus en plus rapproché à mourir de faim ou à se rendre ? Dans ces conditions, il était tenu de partir ou de se procurer immédiatement du fourrage par de vastes opérations autour de la place. Il ne semble point par malheur qu’on se soit jamais sérieusement et utilement occupé de se ravitailler. Dès le début de la campagne, l’autorité militaire témoignait à ce sujet une grande incurie. Le lendemain de l’échec de Forbach, le général Coffnières refusait à M. Maguin, membre du conseil-général de la Moselle, l’autorisation d’adresser une circulaire aux habitans des campagnes pour les engager à faire entrer dans Metz leur bétail et leurs denrées. « Gardez-vous-en bien, lui fut-il répondu, ce serait alarmer les populations. Nous prenons d’ailleurs les mesures nécessaires. » Trois cents moutons qu’un cultivateur de Thiancourt proposait d’introduire à Metz ne furent point acceptés ; on ne voulut même pas utiliser pour ramener des vivres plusieurs milliers de voitures de réquisitions revenant vides de Forbach. L’affluence des