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bien les personnes qui auront à subir ces taxes de luxe réduiront le nombre de leurs voitures et de leurs chevaux, alors voilà deux industries atteintes. » La même observation retombe sur tout impôt de consommation, quel qu’il soit. La somme employée à le payer n’est-elle pas enlevée aux dépenses individuelles et soustraite aux industries qu’elle aurait pu alimenter ? On peut dire que c’est moins sensible pour le sel, pour les boissons, — soit ; mais en général quelle taxe n’atteint plus ou moins l’agriculture ou l’industrie, ne resserre plus ou moins la consommation ? Ne se pourrait-il pas aussi que ceux qu’atteindrait la taxe en question, au lieu de consommer moins de sucre, moins d’étoffe, fissent porter cette diminution de leur revenu sur cette partie de l’épargne que représente le capital immobilisé ? Empêcher cette épargne est un mal ; pourtant ne peut-il être réparé en tout ou en partie, si l’état emploie les sommes qu’il perçoit en travaux reproductifs ? Que s’il les consacre au paiement d’indemnités de guerre, alors c’est la nécessité qui parle, et cette raison vaut les autres. Je sais à quels abus fiscaux cette nécessité de faire flèche de tout bois a conduit les gouvernemens ; ce ne doit pas être un motif pour leur interdire de recourir à des taxes qui ajoutent à leurs revenus des sommes qu’il leur serait autrement difficile, sinon impossible de se procurer.

Au reste, en ce qui touche ces taxes spéciales, la politique elle-même commande des réserves. Elles peuvent montrer à la foule que le riche ne cherche pas à soustraire aux charges profitables à l’état les jouissances exceptionnelles que lui permet sa situation sociale. L’effet moral en ce sens est salutaire. Poursuivies avec une recherche trop inquiète et poussées à l’excès, elles ne satisfont pas plus la jalousie qu’elles ne satisfont la justice ; la démocratie ne se contente plus, qu’on me permette cette expression vulgaire, de l’os qu’on lui jette à ronger : son appétit ne fait que s’y exciter ; tout ce qui n’est pas équitable et consenti ne fait qu’ouvrir la brèche à des exigences nouvelles et sans terme.

Parmi ces consommations qui, tout en étant devenues usuelles, gardent leur caractère de superflues, car l’hygiène y joue un rôle assez faible en comparaison de l’agrément, se trouve le tabac. L’article 33 du projet soumis à l’assemblée nationale par le gouvernement autorise la régie à fabriquer de nouvelles qualités de tabacs supérieurs à priser, à fumer et à mâcher. Il est en outre établi que les tabacs et cigarettes dont l’importation est autorisée pour le compte des particuliers paieront 36 francs par kilogramme. On n’aura qu’à se féliciter, si on trouve de nouvelles ressources dans cet impôt, qui en produit de si considérables. (La vente du tabac en 1869 ne s’élevait pas à moins de 246,809,000 francs.) L’état