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plusieurs, et après quelques coups de fusil ont donné le signal de la fuite.

La prise de Soissons, en même temps qu’elle assurait à l’ennemi la tranquille possession d’une des grandes routes de l’invasion, lui livrait toute la partie méridionale du département de l’Aisne. Depuis quelques jours d’ailleurs, le pays était officiellement considéré comme conquis, car M. de Landsberg avait pris les fonctions de préfet de l’Aisne. Cependant le nord n’était pas soumis encore ; La Fère n’avait pas été attaquée, et dans Saint-Quentin résidait le préfet de la république, M. de La Forge, fermement décidé à disputer le terrain à son compétiteur. Déjà même il avait infligé à celui-ci, au lendemain de son installation, un échec mémorable. Le 8 octobre 1870, une colonne, composée de deux compagnies de landwehr et de 400 dragons de Mecklembourg, s’était présentée en vue de Saint-Quentin ; mais la ville avait prévu cette visite. Ses ingénieurs avaient construit des barricades que ses gardes nationaux et ses pompiers étaient résolus à défendre. Aussitôt que le guetteur a signalé du haut de sa tour l’approche des éclaireurs allemands, le tocsin sonne à toute volée, appelant à leur poste les défenseurs de la ville ; ils accourent en grande hâte. Du côté où se présentait l’ennemi, c’est-à-dire au sud-est, la ville se termine au canal et à la Sambre, qui forment deux lignes d’eaux voisines et parallèles. Sur les ponts, en sortant de Saint-Quentin, on a devant soi le faubourg d’Isle, qui monte par une pente assez raide vers la campagne, et derrière, la rue d’Isle, également escarpée, qui conduit au centre de la ville. C’est en-deçà du canal, dont le pont a été disposé de manière à être jeté à l’eau en quelques minutes, que s’élève le plus solide ouvrage de défense, une barricade bien construite et se reliant aux maisons voisines. En haut du faubourg d’Isle, une première barricade abrite un poste avancé. C’est de là que les pompiers tirent les premiers coups sur la colonne allemande, quand leur commandant s’est assuré qu’elle n’est précédée d’aucun parlementaire. Après l’avoir arrêtée le temps nécessaire pour qu’on puisse jeter à l’eau le pont du canal et fermer la grande barricade, ils se retirent en ordre et viennent se ranger près de la garde nationale. Derrière eux, les Allemands entrent dans le faubourg ; mais, bien qu’ils se glissent le long des maisons, ils sont atteints par les balles d’excellens tireurs, qui visent avec calme, annoncent leurs coups et sont applaudis par leurs camarades. La lutte dure depuis plus de trois heures quand la commission municipale, avertie qu’un incendie vient d’être allumé par l’ennemi dans le faubourg et trompée par de faux rapports sur le nombre des morts et des blessés, se rend à la barricade pour représenter au préfet qu’une ville ouverte comme Saint-Quentin