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roi ; si l’on fait une république, vous serez président. Prenez-vous la responsabilité de la république ? — M. de Lafayette avait l’air d’hésiter plutôt qu’il n’hésitait réellement. Noblement désintéressé, quoique très préoccupé de lui-même, et presque aussi inquiet de la responsabilité qu’amoureux de la popularité, il se complaisait à traiter pour le peuple et au nom du peuple bien plus qu’il n’aspirait à gouverner. Que la république, et la république présidée par lui, fût entrevue comme une chance possible, s’il la voulait, que la monarchie ne s’établît que de son aveu et à la condition de ressembler à la république, cela suffisait à sa satisfaction, je ne veux pas dire à son ambition ; M. de Lafayette n’avait pas d’ambition ; il voulait être le patron populaire de M. le duc d’Orléans, non pas son rival. »

En 1830, M. le duc d’Orléans n’avait point de rival.

La révolution une fois consommée et le nouveau roi proclamé, restait une seconde œuvre non moins urgente à accomplir, l’institution d’un gouvernement ; il n’y avait encore, pour la conduite des affaires, que des commissaires provisoires nommés le 1er août par le lieutenant-général du royaume ; point de ministres ni de ministère. Je trouve ici le duc de Broglie exerçant une influence non-seulement grande, mais directe et expliquée par lui-même avec une franchise et une précision également nobles et modestes ; le 8 août, tout était accompli, sauf la formation d’un ministère. « Je ne me hâtai point ce jour-là, dit-il, de reprendre poste au Palais-Royal ; j’étais certain qu’il n’y manquerait point de bienvenue, et dans la résolution que j’avais prise avec moi-même il ne convenait pas de faire l’empressé. Je voyais en effet à des signes certains ce qui se préparait : un ministère officiel, derrière lequel serait placée, sous le titre de ministres sans portefeuille, une camarilla de gens importans. Ce rôle hybride ne me convenait en rien, et j’entendais m’en dépêtrer au plus tôt. Le lendemain, vers onze heures, en montant l’escalier du Palais-Royal pour offrir mes hommages à notre majesté de la veille, j’étais un peu soucieux du compliment que je me proposais de lui adresser en lui demandant mon congé, maintenant qu’il n’aurait plus besoin de mes services et ne manquerait pas, à coup sûr, de serviteurs. Il fallait que ce compliment fût tourné de telle sorte qu’il ne blessât en rien ni le prince, dont j’avais à me louer, ni mes confrères au conseil intime, qui me semblaient s’y trouver fort bien et s’y établir pour tout de bon. Comment leur faire entendre, en tout bien tout honneur, que la direction des affaires derrière le rideau du trône, sans caractère public, sans responsabilité personnelle, en d’autres termes et pour trancher le mot, que l’existence d’une camarilla ne me paraissait pas trop compatible avec le gouvernement parlementaire que nous