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sa main, le dangereux exemple de régimens passant à l’émeute devînt contagieux. Pouvait-on toutefois répondre que, sous d’autres rapports, il résistât toujours aux attraits de la popularité ? Je n’oserais l’affirmer.

« M. Tupinier, commissaire au département de la marine, n’était qu’un premier commis ; il fallait nécessairement le remplacer. Heureusement le général Sébastiani s’offrait ; il désirait entrer au conseil ; il avait, je ne sais trop pourquoi, jeté son dévolu sur ce département. C’était en tout cas une excellente acquisition ; le général Sébastiani avait l’esprit droit, ferme et fin ; sa modération était à toute épreuve, et sa clairvoyance remarquable ; nul n’excellait plus que lui à démêler le résultat définitif d’une affaire compliquée. — N’écoutez pas beaucoup ses raisonnemens, me disait un jour un fort bon juge qui le connaissait bien[1], peut-être qu’ils ne valent pas grand’chose ; mais tenez ferme à sa conclusion, d’ordinaire elle est d’or.

« Venait maintenant le département des affaires étrangères. Le maréchal Jourdan ne pouvait ni ne voulait y rester ; il demandait le gouvernement des invalides, qui convenait à son âge, à ses services, à sa haute et juste réputation. M. Molé mourait d’envie de le remplacer. Il s’en était ouvert à moi, et ne l’avait pas laissé ignorer à celui de qui la chose dépendait. J’y aidai de grand cœur. M. Molé était très propre au poste qu’il souhaitait ; son rang dans le monde, ses antécédens, sa fortune, sa position dans le parti libéral, l’y désignaient comme à l’envi. Il y avait d’ailleurs un titre tout récent et considérable ; lié avec les principaux chefs des légations étrangères, il n’avait pas cessé de les fréquenter durant nos derniers jours critiques, et il n’avait pas peu contribué à les maintenir dans une prudente expectative, à réprimer les velléités d’esclandre des légations de second ordre, et à les engager, eux et leurs maîtres, en bonne voie.

« Restaient deux ministères : l’un grand et principal, celui de la justice ; l’autre, qui passait pour tout petit, ayant été plusieurs fois éparpillé entre d’autres ministères, celui des cultes et de l’instruction publique.

« M. Dupont de l’Eure était commissaire au département de la justice. C’était un personnage de conséquence, auquel on ne pouvait ni se confier sans réserve ni toucher sans précaution. Il était, depuis plus d’un quart de siècle, pour le parti libéral, une sorte d’idole ou de fétiche. Sa probité, son désintéressement, sa persistance dans les mêmes principes à travers toutes les vicissitudes de la politique, depuis le conseil des cinq cents sous le directoire

  1. M. Désages, directeur des affaires politiques au ministère des affaires étrangères