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Perier lui succéda. Depuis quelque temps déjà, les chambres et le public pressentaient en lui le dompteur de l’anarchie. « Comment s’est-il élevé tout à coup au premier rang des hommes d’état ? A-t-il gagné des batailles ? ou bien avait-il lentement illustré sa vie par d’importans travaux ? Non, mais il avait reçu de la nature la plus éclatante des supériorités et la moins contestée, un caractère énergique jusqu’à l’héroïsme, avec un esprit doué de ces instincts merveilleux qui sont comme la partie divine de l’art de gouverner. » Dès son entrée au pouvoir, et en quatorze mois de gouvernement, M. Casimir Perier mérita pleinement ces belles paroles de M. Royer-Collard sur son cercueil. Tant qu’il vécut, le duc de Broglie fut, dans la chambre des pairs, son fidèle et utile allié. A sa mort, l’anarchie recommença ; les collègues qu’il avait pris et laissés dans son cabinet voulaient sincèrement, mais ne surent pas efficacement la réprimer. La grande insurrection révolutionnaire des 5 et 6 juin 1832 éclata. Elle fut vaincue militairement ; mais il fallait la vaincre politiquement en formant un cabinet capable de gouverner. Le roi appela M. Dupin, le maréchal Soult, le duc de Broglie. M. Dupin éluda. Le maréchal Soult accepta ; mais il avait besoin du duc de Broglie pour les affaires étrangères ; le général Sébastiani le conseillait au roi « comme l’homme le plus propre à maintenir dignement, dans les chambres et en Europe, la politique de paix si fermement pratiquée par M. Casimir Perier, mais encore menacée et difficile. » M. de Talleyrand était du même avis. Dès qu’on lui en parla, le duc de Broglie fit, de mon entrée dans le cabinet, la condition sine qua non de la sienne. On hésita. J’étais si impopulaire ! On n’en disait pas la vraie raison ; dans nos ardens débats, j’avais touché au fond des choses et des âmes ; j’avais attaqué non-seulement les excès du parti révolutionnaire, mais ses principes. Le duc de Broglie persista invariablement. On céda à son insistance. Seulement, au lieu de me rappeler au ministère de l’intérieur, on me proposa celui de l’instruction publique. J’étais dans ce département ce qu’on appelle une spécialité. Je n’aurais pas hésité à rentrer dans la position de lutte directe, déclarée et quotidienne où m’avait placé, en 1830, le ministère de l’intérieur. Je n’hésitai pas davantage à prendre la position où mon impopularité, comme on disait, semblait, en 1832, avoir pour le cabinet moins d’inconvénient. On a dit que je prenais plaisir à braver l’impopularité ; on s’est trompé, je n’y pensais pas. On donna le ministère de l’intérieur à M. Thiers, et le nouveau cabinet, formé le 11 octobre 1832 sous la présidence du maréchal Soult, convoqua les chambres pour le 19 novembre suivant.

Quoique divers par nos origines, nos caractères et les tendances plus ou moins lointaines de nos esprits, nous avions tous alors, sur