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aux mêmes fins. Les peuples européens se connaissent, se comprennent, se visitent, s’imitent, se modifient incessamment les uns les autres. A travers toutes les diversités et toutes les luttes du monde moderne, une unité supérieure et profonde règne dans sa vie morale comme dans ses destinées. On dit la chrétienté ; c’est là notre caractère original et notre gloire.

Ce grand fait a eu pour conséquence naturelle la formation progressive d’un droit public européen et chrétien, c’est-à-dire l’établissement de certains principes compris et acceptés comme la règle des relations des états. Ce droit, longtemps et aujourd’hui encore très imparfait, très souvent méconnu et violé, n’en est pas moins réel et devient de plus en plus clair et impérieux à mesure que la civilisation se développe, et que les rapports mutuels des peuples deviennent plus fréquens et plus intimes.

Les maximes essentielles et incontestées du droit public européen sont en petit nombre. Parmi les principales se rangent celles-ci : 1° la paix est l’état normal des nations et des gouvernemens, la guerre est un fait exceptionnel et qui doit avoir un motif légitime ; 2° les états divers sont essentiellement indépendans les uns des autres quant à leurs affaires intérieures, chacun d’eux se constitue et se gouverne selon les principes et dans les formes qui lui conviennent ; 3° tant que les états vivent en paix, leurs gouvernemens sont tenus de ne rien faire qui puisse troubler mutuellement leur ordre intérîeur ; 4° nul état n’a droit d’intervenir dans la situation et le gouvernement intérieur d’un autre état qu’autant que l’intérêt de sa propre sûreté lui rend cette intervention indispensable.

Ces salutaires maximes ont été mises de nos jours aux plus rudes épreuves. Tantôt on les a outrageusement foulées aux pieds pour donner un libre cours aux passions qu’elles ont précisément pour objet de contenir ; tantôt on en a scandaleusement abusé pour servir des desseins qu’elles condamnent expressément. Nous avons assisté aux plus immenses guerres entreprises sans motif légitime, par une ambition égoïste et déréglée, ou pour réaliser des combinaisons arbitraires et frivoles sous un air de grandeur. Nous avons vu une propagande envahissante porter au loin ses violences et sa tyrannie au nom de la liberté. De grands gouvernemens ont opprimé l’indépendance de petites nations pour maintenir, chez elles comme chez eux-mêmes, les principes et les formes du pouvoir absolu. D’autres se sont joués des droits et de l’existence des pouvoirs établis, sous prétexte de rétablir les droits des nations. Des conspirateurs révolutionnaires ont réclamé le principe de non-intervention pour couvrir leurs menées contre la sécurité de tous les états. Indignés de tant d’excès divers, d’honnêtes et superficiels