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esprits voudraient supprimer la politique extérieure et mettre l’indépendance des peuples comme la sécurité des états sous la garantie de la paix perpétuelle et de l’inaction diplomatique. On ne lutte pas contre la violence et l’hypocrisie avec des chimères ; on n’annulera pas l’action extérieure des gouvernemens au moment où s’étendent et se multiplient les relations extérieures des nations. Ce qu’il faut demander, c’est que cette action s’exerce selon la justice et le bon sens. C’est là le but du droit public européen tel qu’il a travaillé à se former à travers les siècles. Ce droit n’a point péri dans ses échecs ; malgré les graves et nombreuses atteintes qu’il a reçues, les maximes du droit européen sont devenues et deviennent de jour en jour plus précises et plus pressantes. C’est de leur empire seul qu’on peut espérer, autant que le permet l’imperfection des choses humaines, le maintien habituel de la paix et de l’indépendance mutuelle comme de la sécurité des états.

Ce fut l’effort constant du duc de Broglie de mettre ces maximes en pratique dans son administration de nos affaires extérieures ; il respectait sans faste le droit des gens dans toute sa portée et en donnait l’exemple plutôt que le commentaire. J’ai cité de lui tout à l’heure cette phrase : « j’étais peu propre au maniement des hommes. » On peut sans embarras dire la vérité sur un homme éminent qui se la dit ainsi lui-même ; le duc de Broglie portait dans ses relations avec les diplomates trop peu de facilitent d’abandon ; il avait besoin de réfléchir avant de parler, et il ne se préoccupait guère des mécomptes que pouvaient causer son extrême réserve et son froid silence aux hommes qui venaient chercher auprès de lui de quoi fournir à leurs entretiens ou à leurs dépêches. L’art de plaire est une force dans la diplomatie comme à la tribune et dans les gouvernemens libres comme dans les cours ; le duc de Broglie ne le possédait pas assez naturellement, et ne prenait pas assez de soin pour l’acquérir ; c’était presque son unique souci d’avoir raison avec mesure et de dire la vérité avec convenance. Ce dont il s’inquiétait fort, c’était de bien informer et de bien diriger ses agens, les représentans de la France au dehors ; il en avait d’excellens, les uns qu’il avait trouvés à leur poste, les autres qu’il y avait placés : M. de Sainte-Aulaire d’abord à Rome, puis à Vienne, puis à Londres ; M. de Barante d’abord à Turin, puis à Pétersbourg ; M. Bresson à Berlin, M. de Rayneval à Madrid. Loin de les laisser dans le vague sur ses intentions pour être moins responsable de leurs actes, il leur adressait toujours des instructions détaillées, précises, et prenait toujours, dans la conduite des négociations, la première et plus forte part de responsabilité. Qui pourrait s’étonner de tant de scrupule dans le respect des