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particuliers. Je comptais pour surmonter ces difficultés sur ma persévérance tranquille et sur l’empire de la nécessité.

Après la retraite du maréchal Mortier et dans la vanité de nos premiers essais pour lui trouver un successeur, nous avions tous donné au roi notre démission, et il avait à chercher non-seulement un président du conseil, mais un cabinet nouveau. Il manda le maréchal Soult, M. Dupin, le maréchal Gérard ; il tenta plusieurs combinaisons, aucune ne put aboutir. Le général Sébastian ! fut aussi appelé de Londres, où il avait succédé, comme ambassadeur, à M. de Talleyrand, qui, en novembre 1834, las des fluctuations de la politique et dans le gouvernement qu’il servait et dans celui auprès duquel il le représentait, avait donné au roi sa démission définitive. J’allai un soir aux Tuileries ; je n’avais pas vu le roi depuis plusieurs jours, ne voulant ni le gêner dans sa recherche de nouveaux ministres, ni m’y associer. « Sébastian ! est arrivé, me dit-il. — Je l’ai vu, sire. — Et que vous a-t-il dit ? — Qu’il repartirait bientôt. — Oui, oui, il ne fera pas ici un long séjour, » et laissant là brusquement Sébastiani : « Vous ai-je raconté ma dernière conversation avec Dupin ? — Non, sire. — Eh bien ! comme, grâce à vous, je suis toujours dans l’embarras, je lui ai dit enfin : Faites-moi donc vous-même un ministère ; n’avez-vous dans votre monde personne à me donner ? — Ma foi, non, m’a-t-il dit, et il m’a nommé quatre ou cinq personnes en ajoutant : Nous n’irions pas trois mois avec cela. — Mais, mon cher Dupin, ce que j’ai de mieux à faire, c’est donc de garder ce que j’ai ? — Ma foi, oui, sire, m’a-t-il dit ; je crois que c’est là ce qu’il y a de mieux, et je vous le conseille. » Le roi s’interrompit un moment, et, me regardant avec un mélange d’humeur et de bienveillance, il reprit : « Le maréchal Soult arrive demain, nous essaierons de nous entendre ; mais je ne veux pas recommencer l’aventure du mois de novembre dernier ; je ne veux pas d’un replâtrage, d’un fantôme de cabinet ; je veux un arrangement solide, sérieux, comme vous dites, messieurs les doctrinaires, un cabinet qui inspire de la confiance par sa seule composition et ses talens connus. J’essaierai avec le maréchal Soult ; si j’échoue, il faudra bien subir votre joug. — Sire, que le roi me permette de protester contre ce mot ; nous disons franchement au roi ce qui nous paraît bon pour son service ; nous ne pouvons le bien servir que selon notre avis. — Allons, allons, me dit le roi en riant ; quand nous ne sommes pas du même avis et qu’il faut que j’adopte le vôtre, cela ressemble bien à ce que je vous dis là. » Je le quittai, persuadé qu’au fond du cœur il voyait déjà dans le duc de Broglie sa ressource nécessaire, et que son parti était pris de l’accepter. Le 9 mars 1835, à la veille d’interpellations