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elle craignait de la voir gravement altérée. Le nouveau cabinet existait à peine depuis six mois que M. Thiers se retrouva en face d’une question que sous le cabinet précédent, en juin 1835, nous avions déjà rencontrée, la question de l’intervention armée en Espagne, sur la demande du gouvernement espagnol lui-même. M. Thiers s’était montré alors favorable à l’intervention ; mais le roi, les chambres et la majorité du cabinet, et je n’hésite pas à dire aussi le public, y avaient été décidément contraires, et nous nous y étions expressément refusés. La guerre civile et l’anarchie s’étaient de plus en plus aggravées en Espagne ; les insurrections carlistes et les insurrections radicales y éclataient à la fois ; la constitution des cortès en 1812 y avait été proclamée ; le cabinet de Madrid redemanda l’intervention française. M. Thiers, devenu chef du cabinet, revint à son premier avis. Le roi persista fermement dans le sien. Selon M. Thiers, la guerre civile était la cause des maux de l’Espagne ; c’était l’insurrection carliste qui fomentait les terreurs et les passions révolutionnaires ; que la guerre civile fût étouffée, l’Espagne redeviendrait gouvernable. Puisque le gouvernement de la reine Isabelle n’était pas en état d’étouffer la guerre civile, c’était à la France d’accomplir cette œuvre. L’intérêt français le commandait aussi bien que l’intérêt espagnol ; la France de 1830 ne pouvait souffrir en Espagne le triomphe de don Carlos. Dans l’opinion du roi Louis-Philippe au contraire, plus la guerre civile et l’anarchie se montraient opiniâtres en Espagne, moins la France devait se charger d’aller elle-même y mettre fin ; quels que fussent au premier moment ses succès, elle entreprendrait là une œuvre impossible ; ni l’insurrection carliste, ni l’anarchie n’étaient en Espagne des accidens superficiels, momentanés, faciles à dompter ; l’une et l’autre avaient dans les traditions, les mœurs, les passions espagnoles, des racines profondes, et elles seraient bien plus vives encore quand ce seraient des étrangers qui tenteraient de les réprimer. Ce serait donc non pas dans une courte expédition de guerre, mais dans une longue occupation et dans une étroite association avec le gouvernement de l’Espagne, que la France se trouverait engagée. « Aidons les Espagnols du dehors, disait le roi ; mais n’entrons pas nous-mêmes dans leur barque ; si une fois nous y sommes, il faudra en prendre le gouvernail, et Dieu sait ce qui nous en arrivera. Napoléon a échoué à conquérir les Espagnols, et Louis XVIII à les retirer de leurs discordes. Je ne dois ni ne veux imposer à la France un tel fardeau. » On essaya de concilier les deux politiques. Le roi consentit à ce que les secours indirects déjà donnés à l’Espagne reçussent une nouvelle extension ; mais il fut bientôt évident que cette tentative serait ou compromettante ou