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peu mal que possible ; ma santé se rétablit, je retrouve un peu d’appétit et de sommeil, moyennant de longues promenades, et je puis m’occuper sans trop d’effort. Albert[1] est rentré au collège. J’ai fait pour lui un nouvel arrangement moyennant lequel il revient chez moi non-seulement dîner, mais déjeuner, ce qui ne l’empêche pas d’avoir deux heures de leçon chaque jour de M. Régnier[2], qui commence à lire avec lui les philosophes grecs et latins. Je lui fais rendre compte entre nous, après dîner, de la leçon de M. Garnier[3], ce qui donne lieu à une conversation qui a précisément l’avantage que vous désiriez, celui de faire sortir la philosophie des formes scientifiques et scolastiques. Il a beaucoup d’ardeur, et je crois qu’il réussira. Ma fille[4] va assez bien ; elle n’a pas, comme son frère, l’obligation de l’étude et la régularité de la vie pour la soutenir, il y a plus de haut et de bas en elle ; cependant j’espère que ni sa santé ni son caractère n’en seront altérés. Voilà notre situation, mon cher ami ; du reste nous sommes bien tristes et nous le serons plus chaque jour, car chaque jour le vide se fera sentir davantage. »

Le duc de Broglie a reçu la récompense de sa sollicitude et de sa vigilance paternelle, seule consolation humaine à sa douleur conjugale : il a vu ses enfans s’élever, réussir et lui faire honneur en s’honorant autour de lui. Il a vu son fils aîné briller de bonne heure par l’élévation de son esprit et de son talent, lui succéder dignement dans la vie publique, et s’asseoir à juste titre près de lui dans l’Académie française. Son second fils, après avoir fait de fortes études classiques, s’est distingué d’abord au-delà des mers, jusque dans la Nouvelle-Calédonie, par son instruction et son courage comme lieutenant de vaisseau ; puis, chrétien fervent, il a voué sa vie à l’église, et s’acquitte, avec autant de modestie que de piété, des devoirs d’un jeune prêtre vertueux. Sa fille a uni son sort à l’un des hommes les plus distingués de cette Lorraine dont une guerre aussi fatale qu’insensée vient de nous ravir la noble cité devant laquelle vint jadis échouer Charles-Quint, et M. d’Haussonville, aussi bon Français que fidèle Lorrain, a conquis par ses excellens travaux historiques un siège à l’Académie française à côté de son beau-père et de son beau-frère. Dans l’une et l’autre génération, dans l’un et l’autre sexe, la famille du duc de Broglie lui a donné toutes les satisfactions mondaines auxquelles peut prétendre un père, et

  1. Son fils aîné, maintenant duc de Broglie.
  2. Aujourd’hui membre de l’Institut, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
  3. Alors professeur de philosophie au collège Saint-Louis, mort depuis membre de l’Institut, Académie des Sciences morales et politiques.
  4. Mme la comtesse d’Haussonville.