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apportée par le maire et l’adjoint d’une commune voisine, qu’une colonne ennemie avait requis de faire office de parlementaires. Il refusa d’abord de considérer comme sérieuse une démarche contraire à tous les usages ; mais sur les instances de ces parlementaires malgré eux, qui lui représentèrent qu’ils devaient rapporter une réponse sous peine de mort, il leur remit un exemplaire de la proclamation que deux jours auparavant il avait fait afficher dans la ville. Il y avait déclaré qu’il se défendrait jusqu’à la dernière gargousse, jusqu’au dernier morceau de biscuit ; que, si la place était bombardée, « il ne se laisserait arrêter par aucune considération d’intérêt particulier. » — « Nous aurons des souffrances à supporter, disait-il en terminant ; mais nous serons forts et énergiques, et nous montrerons que l’ère des lâches capitulations est passée. » L’énergique officier qui tenait ce langage ne se faisait pas illusion sur la force de la place ; mais, avant d’en prendre le commandement, il avait reçu la promesse d’être secouru par l’armée du nord, et il voulait préparer les habitans à tout endurer jusqu’à l’arrivée du secours attendu. Les Allemands, qui savaient trop bien que l’armée du nord allait être mise hors d’état de songer à autre chose qu’à son propre salut, considéraient déjà La Fère comme ville prise ; seulement, pour s’éviter la peine d’un siège dont l’issue leur paraissait certaine, ils se seraient contentés de l’évacuation de la place et du libre passage par le chemin de fer. Ils acceptèrent le défi du commandant, et le lendemain l’investissement de La Fère commençait.

Jamais place n’a mérité aussi bien que La Fère le nom de nid à bombes. Le voyageur qui se dirige vers cette ville en venant de Saint-Quentin découvre, au moment où il dépasse le village de Travecy, une ligne bleue de hauteurs boisées. A sa gauche s’élèvent les collines du Parc et de Danizy, séparées par un court vallon ; en face de lui, le plateau de Charmes et d’Andelain ; à sa gauche, la forêt de Saint-Gobain va s’inclinant vers les bords de l’Oise. Son regard est attiré au loin par les tours de la cathédrale de Laon, qui apparaissent dans une échappée entre Charmes et Danizy et dominent le paysage ; mais ce qu’il ne découvre qu’en dernier lieu, et non sans faire effort, c’est la ville de La Fère, qui est à ses pieds : vue de 3 kilomètres au nord, elle semble adossée aux collines et perdue dans leur ombre. L’ennemi n’aura que l’embarras du choix pour ses positions.

Comme Soissons, La Fère prend les précautions traditionnelles. Les 2,700 mobiles qui avec quelques-francs-tireurs composent sa garnison sont employés aux travaux de la défense. On fait monter les eaux de l’Oise pour inonder la prairie, le faubourg Notre-Dame, qui mène à Danizy, est coupé par des tranchées, et si bien semé