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de chevaux de frise, cavaliers, casse-cou, que, si jamais l’ennemi s’y engage, il n’en sortira pas ; mais telle n’est point son habitude. Encore une fois, pauvres villes fortes du temps passé ! quand elles emploient leurs vieux procédés contre les engins nouveaux des brûleurs de villes, elles ressemblent à des insectes pris sous la lourde patte d’un éléphant, et qui, près de mourir, lancent leur dard ou leur venin, parce que leur instinct veut qu’ils fassent ainsi, et qu’ils ne savent ni ne peuvent faire autre chose.

Contre cette place condamnée d’avance, les Allemands emploient toutes les ressources de leur science, de leur nombre, de leur matériel. Leurs précautions sont prises comme s’ils avaient en face d’eux le plus redoutable ennemi. Derrière des murs et des haies, dans de profonds fossés, leurs avant-postes, poussés aussi près que possible de la ville, demeurent immobiles, silencieux, invisibles. Du côté de la campagne, des postes d’infanterie protégés par des tranchées sont établis sur les routes, sur les sentiers, et à coups de fusil écartent les indiscrets. De poste en poste, des cavaliers vont et viennent sans arrêter ; d’autres éclairent les routes et les villages voisins. Cependant ces mystérieux assiégeans travaillent ostensiblement sur toutes les collines : à Travecy, mais surtout au sud, à Charmes, à Andelain, à Bertaucourt. Certainement c’est là qu’ils établiront leur artillerie, et la place canonne d’importance ces positions ; c’est en face d’elles, à côté de la gare, qu’elle met ses meilleures pièces en batterie. A l’est, au petit polygone, dix pièces sont servies par d’anciens canonniers volontaires, c’est la batterie des vieux, quatre regardent Danizy. Or le 24, à six heures du soir, l’artillerie de l’ennemi et 200 voitures chargées du matériel nécessaire à l’établissement des batteries arrivaient à Danizy. Depuis deux jours, le piquetage était fait et les emplacemens marqués : en moins d’une heure, toutes ces voitures avaient déposé leur chargement, planches, madriers, rails de chemin de fer, pelles, pioches, saucissons, gabions, aux lieu et place désignés d’avance, sans hésitation ni encombre. Aussitôt, de la colline du Parc jusqu’à la chaussée du chemin de fer, sur une grande ligne circulaire qui enveloppe le front oriental de la place, les travailleurs se mettent à l’œuvre. En une nuit, ils enlèvent, pour établir les batteries et creuser les fossés où s’abriteront les troupes de soutien, 4,400 mètres cubes de terre. A l’approche du jour, de hardies escouades vont à 300 mètres du bastion scier des peupliers qui auraient gêné le tir ; à peine sont-elles rentrées dans les retranchemens que le premier obus est tiré sur la ville : il va droit à la chambre du commandant de l’arsenal.

Tout le monde est surpris à La Fère, et les mobiles demeurés au quartier, qui se précipitent à la hâte hors des chambrées, laissant des morts sur les escaliers qui s’effondrent, et les artilleurs de la