Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entrer en scène. En effet, La Fère était à peine prise depuis quelques jours, et les journaux allemands commençaient à raconter la marche triomphale de Manteuffel vers l’Océan, quand les troupes d’occupation du département de l’Aisne sont tout à coup saisies de panique. La Fère voit sa garnison dresser les ponts-levis, garnir les remparts d’artillerie ; dans les rues, des sentinelles, le fusil chargé, dispersent les rassemblemens de plus de trois personnes. L’alarme va jusqu’à Laon, où le préfet met en sûreté sa personne, ses secrétaires et sa caisse, pendant que la garnison enferme à la citadelle ses munitions et ses vivres. Un soir un coup de feu retentit ; la générale bat, les officiers courent, les hommes se précipitent hors des maisons ; on ne soupçonnait pas au landwehrien cette agilité : tout ce monde s’enferme dans la citadelle, où l’on apprend que le coup de feu a été tiré par une sentinelle ivre. Le lendemain, on criait par la ville l’avis suivant :


« A partir de sept heures du soir, il est défendu de sortir sur la voie publique sans avoir une lanterne allumée. En cas d’alerte, signalée par le tambour ou la trompette, chacun devra rentrer immédiatement dans son domicile. Dans ce même cas, les fenêtres du premier étage de chaque maison donnant sur la voie publique doivent être éclairées. Ces dispositions sont prises dans l’intérêt des habitans. Le commandant leur enjoint de s’y conformer rigoureusement.


Le commandant fut obéi : à la nuit tombante, il vit dans les rues plus de lanternes qu’il n’en aurait voulu voir ; elles étaient de toutes les couleurs, et des reflets jaunes, violets, rouges, verts, éclairaient les figures narquoises de ceux qui les portaient. Ce ridicule arrêté fut, trois jours après, retiré : les Allemands s’étaient rassurés pour un moment ; mais d’où était venue cette subite inquiétude ?

Le général Faidherbe avait pris le commandement de l’armée du nord. Cette armée, née au milieu de nos désastres, a vécu trois mois en combattant, et son histoire est un glorieux épisode dans cette triste guerre. M. le général Faidherbe l’a racontée dans une courte et sobre notice que devront lire ceux qui cherchent des raisons de ne point désespérer de l’avenir. Au milieu d’octobre, l’organisation n’était pas même commencée. Quelques bataillons de mobiles, sans cadres convenables, sept dépôts de ligne, qui envoyaient des détachemens dans le centre de la France, un dépôt de dragons, qui fournissait à peine quelques cavaliers d’escorte, une batterie qui n’était pas en état de marcher, tels étaient les élémens qu’avait trouvés en octobre 1870 le commissaire général chargé par M. Gambetta d’organiser la défense dans la région du nord. Il se mit à l’œuvre pourtant, aidé par M. le colonel Farre, directeur des fortifications de Lille, qui lui fut adjoint avec le grade de