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couronne de Perse entre deux lions affamés, celui de nous deux qui aura le courage de l’aller chercher en restera possesseur. » Une pareille idée, faite pour séduire des peuples orientaux, excita l’enthousiasme des deux armées, et Chosroès n’osa pas réclamer. L’épreuve fut préparée avec solennité : deux lions terribles furent amenés au milieu d’un enclos et dans les conditions voulues, puis la couronne ou tiare des souverains de la Perse fut déposée entre eux, comme sous leur garde. Chosroès ne se présentant point pour marcher le premier, ce fut Bahram qui s’avança. On le vit lutter contre les lions avec une bravoure calme qui enleva l’admiration des spectateurs, les terrasser l’un après l’autre et rapporter sur sa tête la tiare que personne n’essaya de lui reprendre. Chosroès se prosterna devant lui comme son sujet, et dès lors lui resta fidèle.

Tel était l’homme dans les mains de qui tombait le gouvernement de la Perse au moment d’une rupture avec l’empire. Il était non-seulement fort arrogant vis-à-vis des Romains, mais encore livré aux mages et ennemi fanatique des chrétiens. Son premier acte après son couronnement fut de réclamer comme des transfuges et des traîtres les Persans accueillis sur les terres romaines et jusque dans la ville impériale. « L’empire, répondit Théodose avec dignité, a donné asile à des supplians ; des chrétiens ont secouru des chrétiens ; je ne les livrerai jamais ; plutôt la guerre ! » Bahram prit sa revanche en faisant saisir toutes les marchandises romaines qui circulaient en Perse et en laissant piller les caravanes ; en même temps il retint prisonniers des ouvriers mineurs qu’Iezdjerd avait obtenus de l’empire pour l’exploitation de ses mines d’or, et qui voulaient se rapatrier. C’était une déclaration de guerre. Théodose interdit l’exportation des armes, du fer et des vivres sur le territoire persan, et l’on réunit de part et d’autre des soldats.

Les Romains prirent les devans. Sous la conduite du maître des milices Ardabure, Alain de naissance et le premier général de l’empire d’Orient, une forte armée traversa l’Arménie et fondit sur l’Arzanène, une des cinq provinces en-deçà de l’Euphrate cédées à la Perse après le désastre de Julien et toujours regrettées par les Romains. Narsès, le meilleur des généraux persans, s’y tenait en observation avec des forces considérables, et tenta d’arrêter l’armée romaine au débouché des montagnes d’Arménie ; mais il fut vaincu dans une grande bataille, et ses troupes se dispersèrent. Narsès était un homme habile et hardi ; il laissa l’ennemi faire le dégât tout à son aise dans l’Arzanène, rallia ses fuyards, se renforça de nouvelles recrues, et se dirigea vers la Mésopotamie dans le dessein d’envahir la province de Syrie, qu’il savait n’être pas défendue. Cette manœuvre ne trompa point Ardabure, qui en comprit le