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chrétienne et devenu évêque, de sa ville. Cette ville, malgré une indication du poème, ne pouvait pas être la grande Antioche de Syrie, dont nous connaissons par l’historien ecclésiastique la succession des évêques, parmi lesquels ne se trouvent ni un Cyprien ni un Anthémius, que le poète nous fait prédécesseur du premier ; à moins de nier la réalité des personnages, il faut placer la patrie de ce Cyprien et le siège de son épiscopat dans une autre Antioche, celle de Phénicie par exemple, voisine de Damas, et dont la situation, pour cette raison, concorderait assez bien avec la légende sur laquelle le poème est fondé.

Cette légende était très populaire en Orient, d’où elle passa en Occident avec le culte du saint et de la sainte, qu’on ne sépare jamais. Dès le milieu du IVe siècle, ils avaient une chapelle en Cappadoce, où Grégoire de Nazianze prononçait leur panégyrique, et leurs actes nous disent qu’ils en eurent une autre à Rome même. La popularité de la légende tenait surtout à ceci, qu’elle représentait le saint comme un puissant magicien à qui les démons obéissaient, et dont la biographie, tissu d’aventures merveilleuses, de transformations, de prestiges, reproduisait tout cet appareil démonologique si recherché des Romains d’alors, et qui remplissait leur littérature. La légende de saint Cyprien et de sainte Justine fut pour les lecteurs chrétiens ce que les fables milésiennes étaient pour les païens. On conçoit qu’un tel sujet ait séduit l’imagination d’une jeune femme poète qui trouvait à peindre dans le même cadre l’amour, le merveilleux et la piété, sans compter un lointain ressouvenir des superstitions dont elle avait été bercée dans son enfance.

Longtemps le poème d’Eudocie n’avait été connu que par l’analyse de Photius ; mais deux découvertes successives nous permettent aujourd’hui de le reconstruire presque en entier quant à la contexture, et pour moitié au moins quant au texte. Un premier hasard avait fait retrouver en Angleterre au XVIIe siècle une partie des actes originaux de saint Cyprien d’Antioche insérée par l’erreur du copiste dans un manuscrit des œuvres de l’évêque de Carthage, et la partie de ces actes qui est intitulée Confession de Cyprien a bien évidemment fourni à Eudocie la matière de son deuxième livre. Un second hasard a été encore plus heureux. Deux longs fragmens du poème lui-même ont été découverts, il y a un siècle à peu près, dans un manuscrit de la bibliothèque Médicis à Florence, parmi des poésies de saint Grégoire de Nazianze ; de sorte qu’aujourd’hui nous en pouvons parler avec quelque certitude. Quoique l’idée principale et les grandes péripéties de l’œuvre appartiennent incontestablement à la légende, le poète a su y joindre des développemens qui ne sont qu’à lui. Tout en restant fidèle à la tradition