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ce sont les chrétiens qui l’ont appelée Justine à son baptême. Ses vieux parens demeurent près d’elle, plongés tous deux dans les ténèbres du paganisme ; le père, nommé Eulysius, est prêtre de Jupiter. Les deux vieillards s’inquiètent des changemens qu’ils remarquent dans le caractère et les habitudes de leur fille, car Justine est devenue chrétienne à leur insu ; touchée par la prédication de la bonne nouvelle, elle s’est fait baptiser. Sa vie est celle d’une recluse ; elle fuit le monde et repousse tous les prétendans qui briguent sa main. « Je ne veux, répète-t-elle sans cesse, avoir d’époux que dans le ciel. » Pendant que les vieillards se désolent, une vision les rassure, et eux-mêmes sont attirés par un ange à la foi du Christ. Eulysius coupe sa longue barbe de prêtre de Jupiter, fait raccourcir ses cheveux à la manière des chrétiens : sa femme et lui reçoivent le baptême.

La vierge Justine est d’une merveilleuse beauté : les jeunes gens qui la voient l’aiment et la demandent en mariage ; mais elle les éconduit les uns après les autres. Un étudiant, nommé Aglaïde, las de se voir rebuté, s’entend avec ses compagnons pour l’enlever à l’heure où elle se rend d’habitude à l’église ; mais, quand il met la main sur elle, Justine le repousse avec force et le renverse en arrière sur les degrés du temple, à la grande joie des fidèles attirés par les cris de la jeune fille. Irrité au dernier point, Aglaïde jure de se venger. Il y avait alors dans Antioche un magicien redouté de tous à qui les démons obéissaient en esclaves ; il va le trouver, lui raconte sa peine, et lui offre, dit le poème, « deux talens d’or et deux d’argent brillant, » s’il lui amène par ses enchantemens cette jeune fille, sans laquelle il ne saurait vivre. Cyprien est riche et n’a pas besoin de cet argent ; mais Aglaïde lui fait pitié, et il promet de le servir. Un premier démon qu’il envoie à la découverte, va reconnaître le terrain autour de la chrétienne ; à son entrée dans la chaste chambre, il voit Justine en prière, traçant sur ses membres le signe sacré de la croix : il s’enfuit à cet aspect, tout effaré. « Retire-toi, lui dit le magicien en colère, tu n’es qu’un lâche ! » Et il le remplace par un autre démon, qui échoue comme le premier. Livrée à la prière, au jeûne, aux mortifications, la vierge est toujours armée contre l’attaque des mauvais esprits. Le magicien, étonné, veut observer par lui-même cette fille si belle, qui repousse tous les hommes et déjoue le pouvoir des démons ; il la voit, et en tombe éperdument amoureux. C’est alors que Cyprien occupe la scène pour ne la plus quitter.

Il n’est pas mieux accueilli que les autres ; mais son amour, exaspéré par les rebuts mêmes, envahit bientôt toute sa pensée. Cette fille qu’il voulait donner à un autre, c’est pour lui maintenant qu’il