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canons qu’il a pris et les prisonniers qu’il a ramassés à Saint-Quentin. Les Allemands qui ont assisté à la bataille n’ont pas des airs si triomphans. Les soldats avouent leurs pertes : « Français hauts comme cela, disait un chasseur saxon, et, en relevant la main, — nous hauts comme cela ! » Les officiers parlent avec admiration des dispositions prises par Faidherbe et de son artillerie. D’ailleurs ils assurent tous qu’ils tenaient à l’avance la victoire pour certaine ; retardée d’un jour, elle eût été plus complète. Cependant ils avaient espéré d’autres résultats. « Si nous avions été vainqueurs dès le matin, dirait un général saxon, Saint-Quentin aurait été un nouveau Sedan ! » Von Gœben lui-même est plus modeste après qu’avant la bataille. Il n’a pas suivi de très près l’armée vaincue, car il croit qu’elle s’est retirée en partie sur Cambrai, en partie sur Guise, tandis qu’elle a pris les routes de Cambrai et du Cateau. Le 21 janvier, il prescrit aux généraux Kummer et Grœben, dans le cas où ils seraient pressés par l’ennemi en le poursuivant, de se replier le premier sur Amiens, le second sur Péronne.

C’est qu’en effet, si ébranlée qu’elle fût, l’armée du nord n’était pas détruite. Il est vrai que des bataillons ont plié, et que pendant l’action même beaucoup d’hommes qui s’étaient cachés furent traqués dans les rues de Saint-Quentin et poussés au feu par les gendarmes ; mais ceux qui ont vu dans leurs cantonnemens les mobiles et les mobilisés, ces derniers surtout, soldats de la veille conduits par des officiers souvent aussi novices qu’eux-mêmes, leur pardonneront d’avoir eu des défaillances. Après tout, est-il plus d’un peuple en Europe qui, après la destruction de toutes ses forces régulières, trouverait sans plus d’efforts des armées qui sur tous les points du territoire disputent à l’ennemi, comme ont fait les nôtres, une victoire presque consommée ? Parmi nos jeunes officiers, beaucoup n’ont trouvé qu’à grand’peine le loisir de feuilleter les pages d’une théorie, et nos jeunes soldats ont eu moins de temps pour apprendre tout leur métier que n’en ont mis les militaires allemands pour apprendre l’exercice du pas décomposé. Et quels terribles débuts que les leurs ! Cette marche de trois jours par des chemins affreux avant d’arriver à Vermand, cette bataille de deux jours contre une armée aguerrie deux fois plus nombreuse, et dont le chemin de fer a déposé doucement les renforts à quelques kilomètres du champ de bataille, couronnaient dignement cette campagne de deux mois, pendant laquelle l’armée du nord avait livré quatre batailles, plusieurs combats, et infligé à l’ennemi des pertes que le général Faidherbe évalue à vingt mille hommes.

Le général travaillait sans relâche à refaire son armée, et le 10 février il était prêt à rentrer en ligne avec un effectif presque égal à celui qu’il comptait à Saint-Quentin, grâce à l’incorporation