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de nouveaux mobilisés ; mais la France a déposé les armes le 29 janvier. Entre l’armée française, qui garde les départemens du Pas-de-Calais et du Nord, et l’armée allemande, l’armistice a mis une frontière large de 10 kilomètres. Le département de l’Aisne va donc être livré presque tout entier à l’occupation allemande. On était si bien revenu de toutes les illusions que la nouvelle de l’armistice fut accueillie avec plaisir, et celle de la paix attendue avec impatience. On espérait que le terme des souffrances était venu pour les pays envahis, et nul ne se doutait que l’ennemi tînt encore en réserve de nouvelles rigueurs, ni que ses préfets pussent faire regretter ses généraux.


III

Les articles publiés dans la Revue sur l’administration prussienne en Alsace et en Lorraine nous dispensent de nous étendre sur ce chapitre, car l’administration prussienne a été uniforme dans les pays envahis. Le département de l’Aisne était du ressort du gouvernement de Reims, où se succédèrent le duc de Mecklembourg et M. de Rosenberg. Auprès du gouverneur se tenaient le prince Charles de Hohenlohe, le comte Charles de Taufkirchen, commissaires civils, et M. Pochhammer, directeur des contributions ; au-dessous, les préfets des départemens. Comme en Lorraine, ces personnages inaugurent leurs fonctions par de cérémonieux saluts au public ; ils promettent par voie d’affiches leur bienveillance à leurs administrés, auxquels ils demandent en échange leur confiance et leur concours. Ils les invitent à se désintéresser des malheurs de la patrie, à s’arranger au milieu de nos désastres une vie égoïste et honteuse, ou, comme dit le duc de Mecklembourg, à « s’assurer les bienfaits de la paix avant sa conclusion définitive. » Ils réconfortent contre toute crainte de poursuite après la guerre ceux qui consentent à l’oubli de leurs devoirs patriotiques, par exemple les conscrits qui ne se rendent point à l’appel. « Tous les traités de paix de ce siècle, dit leur journal officiel, ainsi celui de Paris du 30 mai 1814, celui de Prague de 1866, contiennent des dispositions spéciales et garantissent les citoyens contre les poursuites relativement à leur altitude pendant la guerre. » Il n’est donc pas impossible de vivre heureux et paisible sous la domination prussienne. Si l’on veut bien se livrer à ses « occupations habituelles, » se complaire en la société de ses hôtes, aller écouter leur musique, qui est excellente, mais n’a pas d’auditoire, saluer dans la rue au moins les colonels, renoncer aux journaux « hostiles aux armées allemandes » et faire ses délices du moniteur de Reims, déposer provisoirement à la mairie ses armes de guerre, de chasse, de luxe, dût