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esprits studieux ; ils repoussèrent la seconde. Ils ont reçu de nous bien des leçons dans toutes les branches de la science humaine ; apprenons d’eux quelquefois à en faire usage. C’est la révolution qui a créé pour nous le danger des écrits de Voltaire ou de Rousseau ; ils portent la peine de l’abus qu’on a fait de leurs ouvrages. Paris révolutionnaire a toujours calomnié le Paris de l’intelligence. Supposez que la ville d’Athènes eût établi un jour la communauté des biens et des femmes : que n’eût-on pas dit de Platon, qui avait mis cette double institution dans sa république !

Les hontes de la platitude littéraire, de la grossièreté des mœurs, de la vulgarité, cessèrent enfin, mais non l’isolement ; la civilisation française reparut parmi nous sans nous ramener l’Europe. Des salons se rouvrirent sous le directoire. Plus accessibles aux classes diverses de la société, ils cherchèrent à concilier les intérêts nouveaux avec ceux qui avaient fait naufrage dans la tourmente, ou plutôt ils proposèrent un régime qui ne répondait qu’à un seul intérêt, celui de la révolution, en imposant toutefois des limites à la démocratie ; ils croyaient de bonne foi que la révolution était capable de se régler elle-même. Les entretiens qui avaient pris un caractère sérieux aboutissaient à des œuvres dont la pensée se résumait ainsi : les principes des républicains amis de l’ordre sont les mêmes que les principes des royalistes amis de la liberté. Ne semble-t-il pas que ces paroles soient d’hier ? Que dis-je ? nous n’entendons pas dire autre chose autour de nous ; les mêmes situations inspirent les mêmes pensées. A l’occasion des attentats de la commune, on a parlé des barbares que contenait Paris. Le mot a servi, hélas ! plusieurs fois déjà, et toujours avec un triste à-propos. Il est du temps du directoire, et peut-être il a passé du salon de Mme de Staël dans son livre de la Littérature[1]. On ne peut condamner plus nettement qu’elle n’a fait ces hommes grossiers que la licence avait rendus à leur férocité naturelle. Cependant elle espère que la philosophie fera l’éducation de ces vainqueurs, comme le christianisme a discipliné les hommes du nord ; elle croit qu’ils ont pour but et pour bannière une idée philosophique (voyez l’influence des formules abstraites !) ; elle voit « à la tête des hommes sans éducation certains esprits remarquablement éclairés. » Plus heureux dans notre malheur, nous sommes du moins affranchis de cette illusion. Les circonstances ont livré à elle-même la multitude révolutionnaire ; point d’idées, point de formules, point de demi-lumières mêlées au chaos obscur ; elles ont en quelque sorte isolé la révolution, comme les chimistes isolent une substance qu’ils veulent étudier. Qu’est-il resté au fond de l’immense creuset

  1. Première partie, chapitre 8.