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on a quelque raison de se croire au bout de ses peines. Le conseil municipal de Laon, qui tenait séance ce jour-là, à neuf heures du matin, avec la perspective d’une exécution militaire ordonnée contre la ville, et qui devait commencer à midi, se sépara tout joyeux ; mais il a compté sans son hôte. M. de Lansberg réclame les impôts échus jusqu’à la notification du traité, y compris les amendes pour retards, lesquelles sont devenues elles-mêmes « productives » d’une amende de 5 pour 100 par jour. Et les réclamations continuent plus pressantes, plus menaçantes, jusqu’au jour où, le gouvernement de la France ayant passé aux mains de véritables hommes d’état, la convention Pouyer-Quertier affranchit enfin la province.

Chacune des sommations de l’autorité allemande était accompagnée de menaces. Dans les villes, on ne s’en troublait pas outre mesure ; mais dans les villages la résistance était plus difficile, parce que l’exécution suivait de plus près, l’ennemi jugeant que l’hypocrisie était moins nécessaire. Les maires perdent la tête quand ils reçoivent l’avis que l’exécution militaire va commencer. S’ils veulent savoir ce qu’il faut entendre par ces mots terribles, on leur répond comme fit un jour à la commission municipale de Saint-Quentin M. Binder, capitaine au 70e de ligne, commandant de la place :


« Messieurs, selon les ordres du chancelier fédéral allemand, les mesures de l’exécution sont le logement d’une garnison augmentée auprès des habitans, l’enlèvement des otages (les notables de la ville), et comme mesure extrême, en dernier lieu, la mise à feu et le bombardement. Agréez, messieurs, l’assurance de ma considération parfaite. »


Se figure-t-on l’effet d’une pareille missive sur un conseil municipal de village ? Beaucoup ne se laissèrent pas effrayer, mais il n’est que trop vrai que des maires, après avoir inutilement essayé de réunir l’argent nécessaire, ont dénoncé à l’autorité prussienne leurs administrés récalcitrans. Aussitôt l’argent trouvé, ils accouraient à la préfecture. « Un des anciens bureaux transformé en caisse, dit M. Ed. Fleury dans ses éphémérides, présente un spectacle à la fois attristant et original. Il est plein à comble de maires, d’adjoints, de délégués, qui s’entassent et s’empilent autour d’une table où l’on paie, et d’une autre où les comptes sont dressés. Devant le receveur, qui ne suffit pas à sa besogne, l’or coule à flot, les sacs d’écus s’amoncellent… Le métal et les papiers précieux sortent de toutes les poches, le caissier ne sait où les placer ; on les lui compte. tristement et sans parler. Autour du comptable, qui aligne les comptes et dresse les états, éclatent au contraire les exclamations de saisissement. À ces comptes, on ne comprend rien, sinon qu’on