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constitution qui lui convient, car, ainsi que l’écrivait John Adams dès l’année 1775, le peuple est la source de toute autorité, l’origine de tout pouvoir. C’est là un principe universellement reçu aux États-Unis, principe que personne ne conteste et que chacun s’efforce d’appliquer de son mieux. Quoique les Américains aient gardé l’esprit juridique de leurs ancêtres de la Grande-Bretagne, quoique dans le droit civil ils s’attachent de préférence à la coutume et aux précédens, néanmoins en politique ils n’invoquent que la volonté nationale. Tout leur souci est d’assurer dans sa plénitude la souveraineté du peuple et de ne la laisser confisquer par personne, — et, grâce à une pratique aussi sincère que hardie, ils en sont arrivés, non moins heureusement que les Anglais, à des institutions protectrices de la sécurité, de la liberté et du bien-être de tous les citoyens.

Enfin l’Amérique est une fédération, aujourd’hui composée de trente-sept états particuliers et d’un gouvernement général. Il ne se passe guère d’années qu’on n’établisse une constitution, qu’on n’en réforme une autre. Depuis moins d’un siècle, on compte plus de cent soixante-dix essais de ce genre ; il n’en est pas un seul qui ait jamais inquiété le pays. Ce qui en Europe est une crise, une maladie dangereuse, est aux États-Unis une fonction habituelle de la vie politique, une institution régulière. On conçoit quel est pour nous l’intérêt de ces expériences réitérées ; nous ne pouvons pas avoir la prétention d’être plus républicains, plus démocrates que les Américains, et leur exemple nous démontrera combien nous sommes encore entichés d’idées despotiques. Nous exaltons en paroles la souveraineté du peuple, mais en fait les partis ne la respectent guère, tout leur effort consiste à l’éluder ou à l’usurper.

Pour bien comprendre le jeu des constitutions américaines et celui des conventions, il faut donc se faire une idée nette de la façon dont on entend et dont on pratique aux États-Unis la souveraineté du peuple. Sur ce point, nous avons beaucoup à apprendre et beaucoup à oublier[1].

Le principe dominant, celui qui pénètre et anime toutes les institutions américaines, c’est que l’ensemble des citoyens, hommes, femmes, enfans, a droit de régler son gouvernement comme il l’entend. Aux États-Unis, on ne connaît pas l’idée de légitimité qui fait

  1. Dans tout ce que je vais dire de l’Amérique, mon autorité est l’excellent ouvrage de John Alexander Jameson, juge à la cour supérieure de Chicago et professeur de droit constitutionnel à l’université de la même ville. Ce livre, intitulé The constitutional Convention, its history, powers and modes of proceeding, a été publié à New-York en 1867. Pour la richesse des documens et la solidité des jugemens, il peut soutenir la comparaison avec le commentaire de Story sur la constitution des États-Unis.