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par les universités, firent aussi paraître quelques livres élémentaires pour l’étude de la langue sainte.

L’un de ces « prosélytes, » Jean Böschenstein, fut le premier professeur d’hébreu à Wittenberg, car, bien que Mélanchthon ait souvent enseigné la langue hébraïque dans cette université quand la chaire d’hébreu était vacante, on ne peut le considérer comme hébraïsant. Lui-même d’ailleurs ne se donna jamais pour tel ; il rappelle souvent dans ses lettres qu’il n’est qu’helléniste et ne veut enseigner que le grec. Lorsqu’il arrivait à Wittenberg le 25 août 1518, Mélanchthon semblait à peine sorti de l’enfance. Quatre jours après, il prononçait son discours inaugural ; l’enseignement du grec était fondé. Luther écrit à Spalatin une lettre dans laquelle il parle avec enthousiasme du jeune parent de Reuchlin. « Je ne désire pas pour moi, dit-il, d’autre professeur de grec. » Il craignait seulement que l’université de Leipzig ne l’enlevât à Wittenberg. Dès lors commença cette amitié touchante qui unit étroitement dans la vie et dans l’étude ces deux hommes d’un génie si divers. Leur affection fut plus forte que la mort elle-même. Dès le premier jour, Mélanchthon fut subjugué par la puissante nature de Luther ; ses velléités d’indépendance, ses révoltes, ses sourdes rages de grammairien, ne tenaient pas devant une parole de Luther. Ce bon Saxon, que l’on se représente toujours comme un Jupiter tonnant, avait pour Mélanchthon des tendresses de père. Dans ses lettres, il parle de son ami comme d’un enfant qu’on aime. Il le trouve faible, délicat, maladif ; il se plaint à l’électeur et à Spalatin de ses excès de travail qui l’emporteront quelque jour ; il veut qu’on lui conseille de travailler moins, de veiller à sa santé, de se conserver pour ses amis et pour la science. Mélanchthon fut toujours pour Luther une créature chétive, un peu chagrine, sans foi profonde, qu’il sentit le besoin de protéger, de consoler, d’abriter dans son cœur. Ce géant portait ce nain dans un pli de son manteau.

C’est pendant son séjour à Augsbourg, du 7 au 31 octobre 1518, que Luther choisit Böschenstein pour enseigner l’hébreu à Wittenberg. Dès novembre, Luther se plaint à Spalatin de la manière dont Böschenstein fait son cours. Cet homme n’en agit qu’à sa tête ; il attache une importance extrême à ce qui n’en a point. On le ménage pourtant, car personne, dit Luther, n’est plus irascible. La « querelle » que pressentait Luther ne tarda pas à éclater. Au mois de janvier 1519, Böschenstein quitta l’université ; son disciple Bartholomœus Cœsarius recueillit la succession. Luther le trouvait assez érudit : il lui plaisait ; mais Cœsarius ne plut sans doute pas longtemps, car le 25 janvier Luther mande à Spalatin que Mélanchthon fait le cours de langue hébraïque avec plus de foi, et partant avec plus de fruit que « Jean l’apostat. » En mars et en