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notoriété telle que toute prétention en aurait dû être désarmée. Pourtant la compagnie de Fresnes-Midi soutint, les pièces sous les yeux, ce procès insoutenable, et le poussa avec acharnement. Sous quelle influence, avec quels encouragemens ? On ne saurait le dire, mais il ne fallut pas moins de vingt plaidoiries devant toutes les juridictions et à tous les degrés d’instance pour qu’elle désertât le terrain. L’alerte un instant fut si vive que M. Thiers, alors l’un des gérans d’Anzin, crut devoir, pour éclairer les faits et rétablir les principes, publier un mémoire qui est un modèle de grande discussion et de véritable éloquence. La lumière qui se fit alors décida les juges, et la, compagnie resta maîtresse chez elle en vertu d’arrêts définitifs.

Si je me suis étendu avec quelque détail sur le plus grand établissement d’industrie qui existe dans nos provinces du nord, c’est qu’il est, comme je l’aï dit, une exception pour la forme et pour la durée ; tout au plus citerait-on Saint-Gobain qui soit dans le même cas, comme exploitation privée. Les Gobelins, Sèvres, certaines manufactures d’armes qui ont survécu à l’ancien régime, n’ont jamais été que des régies dans les mains de l’état ; Anzin n’a eu de commun avec l’état que la nécessité de se soumettre à des prescriptions souvent capricieuses, à des tributs toujours onéreux. L’état ne lui accorda, sous Desaubois, que des secours insignifians ; il est vrai qu’en retour il ne lui a pas imposé d’hommes ni de règlemens. C’est donc un corps qui n’a tiré ses forces que de lui-même, qui est si bien constitué qu’il a dépassé de beaucoup l’âge ordinaire des établissemens humains ; tel qu’il est, il semble en allant acquérir de la vigueur, loin d’en perdre : dans le cours de ce siècle, il a sextuplé la somme de travail qu’il fournit. L’un des motifs de ce succès est dans un régime qui, fixé dès le début, n’a jamais varié depuis : ce conseil à vie, composé, comme on l’a vu, de six régisseurs départagés au besoin par un président, se recrutant eux-mêmes en cas de vacance. De là une première et sûre garantie de stabilité ; en voici une seconde. On a trouvé expédient de nos jours de fractionner le capital des sociétés d’industrie et d’en répandre les titres sur le marché en fragmens si minimes qu’elles ne sont plus pour les intéressés que des lieux de passage où ils entrent et qu’ils quittent sans frais, presque toujours avec indifférence. Anzin, par des actes plus réfléchis, empêche ses associés d’agir aussi délibérément, et leur impose au moins d’avoir la conscience des placemens qu’ils font. C’est une société civile et territoriale, comme il en a dû éclore beaucoup dans les études de nos tabellions et dont les statuts portent bien le cachet de leur temps : . Le capital de la société est divisé en 24 sous ou 288 deniers,