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ce que l’on nomme familièrement un coup de collier. On en cite un curieux exemple qui prouve en même temps jusqu’où pourrait être poussée la puissance des services de la compagnie. Dans la quinzaine qui précède la Sainte-Barbe, fête des mineurs, il est d’usage parmi les ouvriers de se former, à l’aide d’un surcroit de travail, les réserves qu’ils dépenseront dans une suite de jours de chômage. Une sorte de fièvre règne alors dans les ateliers ; pas moyen de s’y opposer. Au lieu de huit heures, la journée dure douze, quatorze, seize heures, et l’extraction suit la même proportion. Ainsi en 1869, le 16 novembre, la date a été fixée, on a extrait du matin au soir plus de 10,000 hectolitres de charbon. A 10 tonnes par wagon et à 20 wagons par train, cette masse, si elle devait être transportée par chemin de fer, exigerait 50 trains de 20 wagons traînant 200 tonnes. A maintenir pendant une année entière ce contingent de travail, on extrairait 3 millions de tonnes au lieu de 1,800,000.

Quelquefois aux tristes plaisirs du cabaret les ouvriers préfèrent des distractions plus saines et de meilleur goût. C’est alors la musique qui remplit leurs loisirs. On se rassemble, on s’exerce sous la conduite d’un chef d’emploi, et quand l’apprentissage est achevé, on a un corps de musique ou ce que l’on nomme une fanfare. Ces fanfares luttent ensuite entre elles à qui exécutera avec plus d’ensemble. Un acte plus sérieux tranche parfois sur cette période de passe-temps ; le mariage arrive pour imposer à l’adolescent les devoirs de l’homme. L’ouvrier d’Anzin se marie jeune, quelquefois avant sa majorité ; il n’a encore que le salaire du noviciat, sa femme y ajoute à peine quelques centimes pour des travaux insignifians, c’est pour le nouveau couple de rudes années à passer. L’âge et la santé les rendent légères ; les enfans arrivent, en grand nombre presque toujours, ce sont autant de charges sans autre compensation que celles du cœur, — la gêne va croissant. Au bout de neuf à dix ans seulement, la situation se dégage : l’homme touche alors un bon salaire, sa femme aussi, l’aîné des enfans est admis aux travaux, les autres suivront ; au lieu d’être une charge, la famille va fournir un revenu, et il en sera ainsi jusqu’à ce que les filles s’établissent, ou que le service militaire enlève les garçons. De ces quinze ou vingt années dépend le sort du couple, qui finira seul, comme il a commencé. L’aisance règne dans sa maison et l’épargne est possible ; tout ira bien, si l’esprit de conduite y aide. Ce n’est pas toujours le cas, et avec le temps le dénûment arrive. La compagnie prend alors à sa charge ces vieux serviteurs, pourvoit à leurs plus urgens besoins, supplée en partie à l’assistance publique. À ce propos une remarque a été faite, c’est que les localités où le travail des mines s’allie à un travail rural ont plus de