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prévoyance, plus d’esprit d’ordre que les autres. Ainsi en est-il des ateliers du Vieux-Condé, où les hommes en devenant ouvriers ne cessent pas d’être paysans. Comme paysans, ils ont leur maison à eux, quelques parcelles de terre dont ils ont hérité, d’autres qu’ils prennent à bail, de sorte qu’ils vivent à la fois du dessus et du dessous du sol. La nature de l’extraction en fait non-seulement une faculté, mais une nécessité. Les houilles que livrent les fosses du Vieux-Condé sont principalement des houilles maigres qui, destinées à la cuisson de la brique et de la chaux, n’ont, à proprement parler, qu’une saison d’activité ; les cultures arrivent en ordre utile pour employer le reste du temps, et tout est profit, moralement et matériellement, dans cette alternative d’occupations. Les habitudes sont plus réglées, les mœurs meilleures, la misère plus rare, le sentiment religieux plus répandu. Il y a donc là, sur les lieux mêmes, un exemple dont les populations du groupe pourraient s’inspirer à leur propre avantage et à l’avantage commun.

On a vu qu’à une certaine période de sa vie, l’épargne est possible pour l’ouvrier d’Anzin ; en voici les preuves. La moyenne des salaires, qui peut être fixée à 3 francs par jour, donnerait pour 300 jours ouvrables 900 francs, et, — si l’on y ajoute les supplémens que procure la tâche, — entre 1,100 et 1,200 francs. Les vivres ne sont pas chers, et rien n’est plus frugal que l’ordinaire d’un mineur : la base en est une soupe maigre composée de légumes frais, pommes de terre, haricots et pain, le tout copieusement servi, de temps en temps de la viande, du laitage, et dans la saison quelques fruits. Voici d’ailleurs en note deux budgets fournis par un chef mineur[1], qui donneront au juste l’état des ressources et des charges des ménages. Dans le premier, composé du père, de la mère et de trois enfans, dont un de seize ans employé aux travaux, l’a dépense journalière pour la subsistance et l’entretien est de 3 fr. 80 par jour ; le gain moyen est de 5 fr. 05, soit un excédant de 1 fr. 25 c. Dans le second de ces ménages[2] composé, outre le père et la mère, de cinq enfans dont deux travaillent, l’aîné ayant vingt ans, la dépense d’entretien et de nourriture monte à 6 francs 70 cent. La recette par contre est de 8 fr. 60 cent., ce qui laisse

  1. Premier budget : pain 1 fr. 20, viande, légumes, laitage, boissons et épicerie, 1 fr. 80, entretien et vêtemens 0,65 c, loyer (4 fr. 50 par mois) 0,15 c, total 3 fr. 80 à la colonne des dépenses. Le gain moyen de la famille est de 3 fr. 55 pour le père et 1 fr. 50 pour le fils : 5 fr. 05. Excédant, 1 fr. 25 c. par jour.
  2. Second budget : pain 1 fr. 60, viande, légumes, laitage, boisson et épicerie, 2 fr. 90, vêtemens et entretien 2 fr., loyer (6 fr. par mois) 0,20 cent., total 6 fr. 70 c. La recette est de 3 fr. 55 pour le père, 3 fr. 55 pour le fils aîné, 1 fr. 50 pour le fils cadet, soit un excédant de 1 fr. 90 par jour.