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n’est pas assez vaste pour former le désert autour d’eux, ils ont toujours à leur portée les moyens de s’enivrer et les mille objets dont le vol peut les tenter ; l’influence moralisatrice du spectacle de la nature dans les grandes solitudes n’existe pas pour eux, enfin la colonie n’a guère besoin de leur travail. Le gouverneur de l’île en leur accordant ce commencement d’émancipation travaillait donc dans leur intérêt bien plus que pour la colonie. Quelle fut leur reconnaissance ? — Le jour même où fut donné ce nouveau gage de bienveillance, on apprenait l’évasion des six condamnés. C’en était trop ; les fugitifs ayant été pris comme les précédens, le gouverneur leur fit savoir que « sa longanimité était à bout. » Le personnel du pénitencier fut assemblé, la garnison appelée sous l’es armes ; en sa présence, les évadés reçurent une correction corporelle fort libéralement appliquée. Au bout de deux ans, le système humanitaire de réhabilitation par la douceur était donc à vau-l’eau ; il fallait en revenir à la vieille méthode. Aussi, lorsque le 27 mai suivant l’administration célébra le deuxième anniversaire de l’inauguration du pénitencier, la fête manqua d’entrain ; point de discours, point de jeux, point d’orphéon. On entendit des chants religieux, et seulement à la messe ; on fit quelques libéralités, notamment des achats au bazar, où étaient exposés ces menus objets que les condamnés industrieux confectionnent pour augmenter leur masse. La journée fut mélancolique ; la punition exemplaire tout récemment infligée avait jeté du froid. Désormais la fête du pénitencier devait être exclusivement religieuse ; on avait enfin compris que des réjouissances motivées par la seule arrivée de condamnés n’étaient pas convenables. Jamais l’idée de fêtes pareilles ne serait venue à l’esprit des Anglais, nos voisins et nos prédécesseurs en fait de transportation.

En décembre 1867, le gouverneur prononça de nouveau un discours solennel. La force des choses l’obligeait à commencer par des reproches et de justes menaces : il annonça donc l’emploi des moyens de répression les plus énergiques pour le châtiment des incorrigibles ; mais la suite du discours adoucit beaucoup la sévérité de ce début. L’administration venait les mains pleines de faveurs nouvelles ; elle tuait encore le veau gras pour les enfans prodigues de la transportation. Plusieurs convicts avaient fait preuve de bonne volonté, peut-être simplement d’une adresse hypocrite ; on les mit en liberté conditionnelle sur des terrains où ils furent autorisés à travailler à leur compte, et dont la propriété leur fut promise pour l’époque de leur libération définitive. La superficie de chaque terrain était de 2 hectares ; la concession devait être doublée, si le condamné était marié et si sa femme venait le joindre, — on en triplait l’étendue au profit des ménages qui avaient plusieurs enfans.