Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/216

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce temps-là prenaient à cœur les affaires de leur pays : « Très incertain sur les conséquences et la tournure ultérieure des affaires actuelles de la magistrature, je consigne ici une espèce de profession de foi politique relative à ces événemens, quelle qu’en doive être l’issue. C’est la mienne et je crois pouvoir me flatter que c’est en même temps celle de tout bon Français. Quoique je ne me sois jamais regardé que comme un atome dans la société, je crois mériter d’y tenir une place distinguée par ma fidélité inviolable à mon souverain et par mon amour pour sa personne sacrée. Les sentimens que j’ai puisés dans l’éducation et dans les livres ne s’effaceront jamais de mon cœur. Quoique ma fortune soit des plus médiocres par la volonté de la divine Providence, une perspective de 100,000 écus de rente ne me ferait pas abandonner un bien qui m’est cher et qu’on ne peut me ravir, à savoir l’honneur et le véritable patriotisme. Je croirai toujours devoir penser sur les controverses présentes comme les premiers magistrats du royaume et les princes du sang royal, qui ont manifesté leurs sentimens d’une manière aussi authentique que respectueuse pour notre auguste maître dans une protestation solennelle à laquelle tous les bons citoyens ne peuvent s’empêcher de rendre hommage et de souscrire de toute leur âme. Ita sentiebat civis régi et patriœ addictissimus, S. P. Hardy, syndico rei librariœ et typographiæ adjunctus, anno Domini 1771. » C’est ainsi que le contre-coup des événemens de la politique intérieure allait frapper jusque dans les plus humbles conditions les âmes simples et loyales de cette bourgeoisie patriote. Déjà inquiète, parce qu’elle commençait à prévoir, elle essayait de rassurer doublement ses scrupules en adhérant à la bonne cause et en raffermissant son royalisme contre les entraînemens possibles de l’opposition.

Qu’on ne s’y trompe pas en effet, le bourgeois de Paris au XVIIIe siècle a beau être opposant, il entend rester royaliste. Il en veut aux gens de cour, mais non à la royauté. C’est un conservateur libéral, un opposant constitutionnel ; la distinction capitale entre la monarchie et le despotisme, distinction si difficile à maintenir en France, il la fait avec une fermeté qui étonne et que nous n’imitons guère. Libre à d’Argenson, un grand seigneur philosophe, de rêver la république dès 1750, et d’imaginer, sur les plans de l’abbé de Saint-Pierre, son maître, une Suisse française ; le bourgeois de Paris, qui rêve peu, ne prend pas la peine de discuter de pareilles idées : elles ne lui viennent pas à l’esprit. Le comte de Maurepas disait : « Sans parlement, pas de monarchie ; » le bourgeois de Paris ajoute : « Sans monarchie, pas de gouvernement, » Ces deux sentimens, invariables, indissolubles, sont le fond même de sa raison, ou, si vous le voulez, de son instinct politique. Aussi, quand il a cessé