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sentiment public. Tomber de 6,000 messes à 3, quelle chute et quel abaissement ! Est-il une marque plus sûre de la révolution accomplie pendant ces trente années dans les esprits ! Outre la popularité du roi, la ferveur religieuse aussi avait baissé à Paris, et s’était refroidie depuis 1744 ; cette autre variation pourrait bien être pour quelque chose dans le petit nombre « des messes demandées : » il y a là un signe des temps auquel ne paraît pas songer notre janséniste. Quand un roi meurt, cela invite à juger le règne ; Hardy, même alors, s’interdit toute réflexion sévère : il rejette le mal qui s’est fait sur les ministres, « c’est leur conduite odieuse et blâmable qui a perdu Louis XV. » Sommes-nous donc en pays de monarchie constitutionnelle ? Hardy parle comme un publiciste nourri dans les traditions du plus pur parlementarisme. L’ancienne France acceptait d’instinct, sans la connaître, cette fiction de l’irresponsabilité royale qu’on a si vainement essayé d’inculquer au public moderne ; autant que le permettaient des fautes trop personnelles, elle séparait le roi de son gouvernement. Sa droiture suppléait à la science qui lui manquait ; elle avait l’esprit sans la lettre, elle avait les mœurs des institutions dont nous avons la théorie. Ce qui est pour nous une vue abstraite de l’intelligence était pour elle un sentiment. Par quel méchant destin, en gagnant l’apparence, avons-nous perdu la réalité ?

Un mobile moins généreux, mais très politique, la peur, agissait comme stimulant sur ce fidèle royalisme : le bourgeois craignait le peuple et s’en défiait. Si vaillant qu’il soit devenu, il ne s’est pas guéri de cette frayeur-là, comme chacun sait. Et pourtant, quel populaire doux et traitable que celui qui épouvante, nos chroniqueurs ! Il y a chez lui une humeur débonnaire, et, quand par hasard il se fâche, une facilité d’apaisement qui fait sourire un lecteur moderne. Marais raconte que, dans un des plus violens tumultes de la régence, un homme du peuple ayant été blessé et cru mort, la foule ameutée le porta au Palais-Royal en criant vengeance. Tout à coup le cadavre se ranime et demande à se confesser. « On l’a mis contre une borne, dit Marais, on lui a été chercher un confesseur. Le peuple l’a laissé là et s’est dissipé de lui-même. » On dira ce qu’on voudra des fureurs de la ligue, mais les émeutiers qui se confessent n’ont jamais sérieusement troublé le sommeil des gouvernemens. Ces émotions si légères suffisaient à glacer d’effroi les bourgeois ; ils se rejetaient dans les bras du pouvoir, oubliant leurs belles chaleurs de fronde et d’opposition. « Rien n’est plus redoutable, écrit Barbier, que le tumulte du peuple de Paris ; on ne saurait acheter trop cher la tranquillité publique. » Voilà l’éternel cri des réactions : « l’ordre à tout prix ! » Pendant les troubles de 1775, un attroupement pille les boutiques sous les fenêtres de