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orthodoxes, et revenait le cœur plein de joie compléter la conversion, quand Nestorius lui tint un langage tout différent. Comme l’évêque de Mélytène énumérait les preuves tirées des Écritures, que le fils de Dieu était réellement né d’une femme pour racheter l’homme de la mort, Nestorius, suivant de point en point son argumentation, cherchait à l’embarrasser dans un réseau de subtilités pour lui faire confesser que, si le Verbe, seconde hypostase de la Trinité, s’était incarné, le Saint-Esprit avait dû s’incarner également, et Dieu le père lui-même, puisque la Trinité était triple et une dans sa substance. Ces mots faisaient reculer d’horreur l’évêque de Mélytène, lorsqu’un de ceux qui servaient d’acolytes à Nestorius s’échappa jusqu’à dire que, quant à lui, s’il trouvait les Juifs coupables, il ne les condamnait pas comme déicides, car ils n’avaient pas tué le Dieu, mais l’homme seulement. Un autre évêque du groupe nestorien ajouta que le Verbe divin, seconde hypostase de la Trinité, n’était pas le même que le Verbe incarné qui avait souffert dans le Christ. On voit que les opinions les plus diverses se donnaient carrière de ce côté. Acacius s’enfuit indigné et ne reparut plus.

Théodote d’Ancyre éprouva le même désappointement. Comme il exposait avec chaleur la cause du fils éternel de Dieu né, dans le temps et selon la chair, des flancs de la vierge Marie : « Vous penserez là-dessus ce que vous voudrez, s’écria Nestorius en l’interrompant ; mais, moi, je n’admettrai jamais un Dieu ne deux mois, un Dieu de trois mois, et je n’adorerai jamais comme tel un enfant qui a sucé le lait de sa mère, et qui s’est enfui en Égypte pour sauver sa vie. » Nestorius ce jour-là n’était plus un hérétique, il n’était pas même un chrétien. Ses amis s’aperçurent qu’il se perdait et l’en avertirent ; mais lui, toujours confiant, toujours inconsidéré, excusait ses paroles en disant « qu’il ne faisait tout cela que pour s’exercer à la controverse, qu’après tout il en avait assez de ces disputes interminables, et se lavait les mains des impiétés de ses adversaires. » Acacius et Théodote n’avaient pu réprimer leur indignation en quittant Nestorius, et leur conversation fut rapportée à Cyrille. Cyrille voulut qu’ils en déposassent authentiquement, ces preuves d’hérésie étant plus fortes que tout ce qu’on pouvait lire dans les écrits de l’accusé. Les deux évêques, qui étaient gens d’honneur, hésitaient à le faire : on les contraignit par leur caractère même, et ils obéirent. Cyrille avait maintenant dans les mains des faits patens, indiscutables ; il ne songea plus qu’à précipiter la crise.

Une considération grave l’engageait à profiter de l’absence des Orientaux. Qui présiderait le concile ? En droit, ce devait être Nestorius, à qui appartenait le siège le plus élevé de l’empire d’Orient ; mais Nestorius, étant accusé, ne pouvait présider ses juges :