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pour n’en sortir ni vivans ni morts, s’y faisaient construire leur tombeau. Ce dévoûment à la retraite était récompensé dans le public et dans l’église par une estime qui allait jusqu’à l’admiration ; mais Dalmatius méritait l’une et l’autre encore par des titres d’un ordre plus élevé. Il était honnête, instruit, clairvoyant, bon conseiller des affaires du monde, quoiqu’il n’y vécût pas, et l’empereur en personne était venu plus d’une fois le consulter sur des affaires épineuses. On raconte qu’à propos du choix de Nestorius pour le siège épiscopal de Constantinople, le solitaire lui avait dit qu’il assemblait là bien des tempêtes dont l’église et l’empire ne verraient pas le terme. On attribua cette prévision sur le nouvel archevêque à des révélations d’en haut, car Dalmatius était considéré comme un prophète. Or l’idée qui lui vint à l’esprit en lisant les pièces apportées par le mendiant était de réunir ensemble tous les monastères (ils étaient nombreux dans la banlieue de Constantinople) et de faire une démarche collective près de l’empereur, pour lui montrer qu’on le trompait, et obtenir qu’une députation du concile vint s’expliquer devant lui ; c’était là principalement ce que désirait Cyrille.

Ce projet avait traversé rapidement l’esprit de l’archimandrite ; mais il se rappela ensuite qu’il était engagé par un vœu solennel à ne point sortir vivant de son cloître. Irait-il violer cette promesse sacrée, même pour un noble but ? L’incertitude le saisit, et il passa la nuit sans dormir. Tout à coup il crut entendre une voix qui lui criait du ciel : « Dalmatius, sors d’ici ! » Il sauta du lit tout réconforté, et, convoquant les archimandrites ses collègues, il leur exposa son projet, qu’ils acceptèrent avec joie. Quelques jours après, au lever du soleil, tous les couvens se mirent en marche processionnellement vers le monastère de Dalmatius, et de là vers le palais impérial, en parcourant une partie de la ville ; chemin faisant, ils chantaient des hymnes et des psaumes par chœurs alternatifs. Au fur et à mesure de leur passage, les habitans se réunissaient à eux et les accompagnaient en chantant. La procession fit halte à la porte du palais, et les archimandrites pénétrèrent seuls jusqu’au cabinet du prince, qui consentait à les recevoir. L’apparition de l’abbé Dalmatius, qu’on n’avait jamais vu hors de son couvent, frappa sans doute Théodose d’un sentiment étrange, car lui qui était très jaloux de son pouvoir, et qui ne souffrait guère qu’on voulût lui forcer la main sur quoi que ce fût, accueillit sans mot dire une démarche qu’en tout autre moment il eût repoussée comme une offense.

Dalmatius prit la parole. Il expliqua l’objet de sa visite, présenta au prince la lettre de Cyrille et la copie des actes de l’assemblée, puis, pendant que l’empereur les parcourait des yeux, il s’écria : « Est-il raisonnable, très religieux auguste, que la voix d’un seul