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la foi, on y accourut en foule non-seulement de Chalcédoine, mais de Constantinople, et dès le lever du jour le préau était rempli d’auditeurs. Théodoret y parla à plusieurs reprises, Jean d’Antioche aussi. Ils n’avaient su qu’à leur arrivée à Chalcédoine l’arrêt de bannissement rendu contre Nestorius ; cette nouvelle les avait attristés et irrités tout à la fois, et ils ne le cachèrent point dans leurs sermons. Théodoret disait courageusement aux fidèles de Constantinople : « Nestorius est toujours votre évêque ; frappé par une assemblée illégale et hérétique, mais non jugé, il doit être réputé innocent, et n’a point cessé d’être votre pasteur. On parle déjà de le remplacer ; mais je déclare ici au nom de l’église que son successeur, quoi qu’on fasse, ne sera jamais qu’un usurpateur et un intrus, et, s’il est ordonné par les partisans de l’hérésie avant le règlement de la doctrine, il sera un schismatique et un hérétique. » Ces protestations, reportées à Constantinople, n’y étaient pas sans écho, et les Orientaux à leur sortie du prêche trouvaient des clercs, des moines et de misérables mercenaires apostés pour tomber sur eux à coups de pierres et de bâton. Théodoret prétend que parmi les moines on constata la présence d’esclaves déguisés. D’un autre côté, l’évêque de Chalcédoine les dénonçait à l’empereur comme des séditieux qui cherchaient à soulever le peuple et des violateurs des lois canoniques qui célébraient les mystères dans un lieu non consacré. Ce rapport avait ému l’empereur, qui cependant était porté d’affection pour eux.

Chaque jour, les Orientaux rendaient compte à leurs mandans d’Éphèse ou à leurs amis des incidens de leur vie à Chalcédoine. Le premier jour, ils écrivaient au synode ces lignes pleines d’espérance : « tout le peuple de Constantinople accourt vers nous à travers le Bosphore, nous encourageant à défendre la foi, et nous avons bien de la peine à le retenir pour ne point donner prise à nos ennemis. » Quelques jours après, le tableau avait changé, et Théodoret adressait à son métropolitain d’Hiérapolis cette curieuse lettre où il nous peint si bien son découragement, le mauvais vouloir de la cour et les perplexités de l’empereur. On y aperçoit même un triste symptôme de défaite, le commencement d’une désunion dans leurs rangs. « Nous n’avons omis, écrivait-il, ni supplications ni fermeté pour exciter le prince et le consistoire à sauver la foi qu’on veut corrompre ; mais jusqu’ici nous n’avons rien gagné. Nous avons protesté à l’empereur avec serment qu’il nous est impossible de rétablir Cyrille et Memnon et de communiquer avec les autres qu’ils n’aient rejeté des articles hérétiques ; mais ceux qui cherchent leurs intérêts plutôt que ceux de Jésus-Christ veulent se réconcilier malgré tout… Pour notre ami (c’est-à-dire Nestorius), sachez que