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catastrophe, c’était une lutte inégale que soutenait Athènes. Dans cette période, elle fit une effroyable dépense d’hommes et d’argent. Aussi, quand après Ægos-Potamos Lysandre entra par la brèche, au son des flûtes, dans la ville conquise, quand il y installa une oligarchie appuyée sur une garnison lacédémonienne, il semblait bien qu’Athènes fût pour jamais incapable de se relever. Servie par le génie politique et militaire du seul homme vraiment supérieur qu’ait jamais eu Sparte, de l’ambitieux et dur Lysandre, la discipline spartiate et thébaine avait triomphé ; les cités aristocratiques n’avaient plus à craindre le contact et l’exemple d’une turbulente démocratie. L’épuisement d’Athènes était si profond, sa ruine si complète, que quelques-uns même des vainqueurs se sentaient touchés de pitié quand ils jetaient les yeux autour d’eux et qu’ils songeaient au contraste du présent et du passé.

Athènes, après la guerre, restait sans ressources apparentes ni moyens de s’en créer de nouvelles. Tout le capital accumulé depuis le commencement du Ve siècle dans les coffres de l’état et entre les mains des particuliers avait été détruit. Le trésor public était vide ; parmi les fortunes privées, celles même qui paraissaient le mieux établies étaient presque réduites à rien. — Des invasions répétées avaient ravagé presque toute l’Attique, arraché les vignes, brûlé les oliviers ; partout les champs les plus fertiles étaient en friche. Athènes, pendant tout ce siècle, avait profité du revenu que tiraient de leurs propriétés les colons ou clérouques athéniens établis dans la Chersonèse de Thrace, en Eubée, à Lemnos, Imbros et Samos ; dépossédés par Lysandre, tous ces colons affluaient à Athènes, n’y rapportant que découragement et misère. Depuis les guerres modiques, le Pirée était devenu le grand entrepôt des céréales de la Crimée et le principal port marchand de la Grèce ; mais, maintenant que les détroits étaient aux mains des ennemis d’Athènes, le commerce prenait une autre direction, les quais du Pirée étaient déserts et les magasins vides. Enfin bien des familles avaient perdu leur chef, celui dont l’intelligence et le travail avaient fait la prospérité de la maison ; Athènes était pleine de veuves et d’orphelins. On ne sait si, comme tant d’autres, le père d’Isocrate périt à l’armée, en Sicile ou dans quelque autre désastre ; ce qui est sûr, c’est que l’industrie de Théodoros, industrie de luxe, dut être une des premières à souffrir, et que vers la fin de la guerre Isocrate, comme presque tous les anciens riches, était ruiné. Il fallait vivre et non-seulement vivre, mais, si c’était possible, garder le rang et satisfaire les goûts dont on avait pris l’habitude. Isocrate paraît avoir eu d’abord, en même temps que Lysias, l’idée dont celui-ci tira tant de profit et de réputation : il voulut, lui aussi, mettre à profit ses connaissances acquises, son art de rhéteur et son talent