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d’écrivain, pour composer des plaidoyers que lui paieraient les cliens ; il songeait à ce métier de logographe dont nous avons, à propos de Lysias, essayé de faire comprendre les exigences et les conditions.

Le moment était favorable pour une pareille tentative. Interrompus pendant près de deux ans par les malheurs d’Athènes et la domination des trente, les jugemens par jury venaient d’être rétablis dans leur ancienne forme. Délivrée par Thrasybule de ses tyrans et de la garnison lacédémonienne, remise en possession de ses vieilles lois et de sa constitution populaire, en paix avec toute la Grèce et bien vue de beaucoup de ses ennemis d’hier, que commençait à alarmer l’arrogance Spartiate, Athènes se relevait à vue d’œil. Ouvriers et artistes, industriels et commerçans s’étaient remis à l’œuvre ; de nouveau le vaste bassin du Pirée s’emplissait de navires. Dans ce courageux effort d’une société qui se refait par la liberté et par le travail, les tribunaux étaient très occupés et très suivis. Les procès politiques n’étaient pas rares, ou plutôt la politique se mêlait à tous les procès. L’amnistie dont Thrasybule et ses amis avaient pris l’initiative avait, il est vrai, été votée avec un empressement et observée avec une loyauté dont témoigne Xénophon, qui n’est point suspect de partialité pour la démocratie athénienne ; mais il est plus facile de décréter l’oubli que de perdre la mémoire. Tout devenait occasion ou prétexte à réveiller d’irritans souvenirs. D’abord un petit nombre de citoyens qui avaient joué les premiers rôles dans ces tragédies sanglantes avaient été en termes formels exclus de l’amnistie ; ils ne pouvaient rentrer qu’après un jugement. D’autres, moins compromis, auraient pu vivre tranquilles, s’ils avaient su se tenir à l’écart ; mais il leur tardait de parler encore sur le Pnyx, de reparaître au sénat et dans les fonctions publiques. Or on n’entrait pas en charge sans subir au préalable, devant une section du jury, une sorte d’examen, la docimasie, qui portait sur toute la vie antérieure du candidat. C’était à cette épreuve que l’on attendait ceux auxquels leur passé aurait dû conseiller le silence et la retraite ; le tribunal se laissait aisément entraîner à leur faire affront, à les déclarer indignes de siéger comme sénateurs ou magistrats. Quand il s’engageait un procès qui ne semblait porter que sur quelque récent délit ou même sur une contestation d’intérêt privé, si l’une des parties avait trempé dans les cruautés et les trahisons de la faction oligarchique, les griefs articulés passaient au second plan : ce qui remplissait, ce qui passionnait le débat, c’était la question de savoir quelle conduite avait tenue la personne en cause dans les luttes politiques de la cité ; c’était surtout cette considération qui dictait aux juges leur arrêt.