Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/333

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

alors la Grèce un de ses principaux admirateurs et de ses auditeurs les plus assidus ; personne ne lui fut plus attaché que Timothée, le fils de Conon, habile et vaillant général comme son père.

Le nombre des élèves qui fréquentèrent Isocrate est évalué par son biographe à une centaine. On comprend que Cicéron ait comparé la maison d’Isocrate à un gymnase, à un atelier de paroles ouvert à toute la Grèce ; de son école, dit-il encore ; comme du cheval de Troie, est sortie une foule de héros. La rétribution ordinaire, au moins pour les étrangers, était de 1,000 drachmes, environ 900 francs ; des citoyens d’Athènes, il n’exigeait, assure-t-on, aucun salaire ; cependant il ne refusait pas les cadeaux. Timothée, qui avait hérité des grands biens de son père dans l’île de Chypre, lui fit don d’un talent (5,600 francs), et de plus lui éleva dans Eleusis une statue de bronze qui portait cette inscription : « En souvenir d’amitié et pour rendre hommage à l’intelligence, Timothée a consacré aux déesses cette image d’Isocrate. »

Nous regrettons de ne pas posséder quelques détails sur la forme d’un enseignement qui eut tant de vogue et d’influence ; mais il est pourtant possible de s’en faire quelque idée. Cela se rapprochait bien plus que les séances données jadis par les sophistes d’un vrai cours d’études, d’une série méthodique de leçons. Isocrate, avant de commencer à professer, ce qu’il ne fit guère qu’entre quarante et cinquante ans, avait passé de longues années à méditer sur la rhétorique. C’est le fruit de ces réflexions qu’il recueillit dans un traité qui portait le titre d’usage techné ou art. Comme on pouvait s’y attendre, il avait tenu à dépasser ses prédécesseurs ; il avait voulu donner des préceptes plus logiques, plus clairs, plus complets. On retrouvait chez lui cette définition que Platon critique si vivement dans le Gorgias : « la rhétorique est l’ouvrière de la persuasion » ; mais en même temps il affirmait que la rhétorique était une partie de la philosophie. On reconnaît là une idée qui lui était propre, sa prétention de n’employer cet instrument de persuasion qu’à faire prévaloir le bien sur le mal, la vérité sur le mensonge. Il étudiait et classait ensuite les lieux-communs, il distinguait les différentes parties du discours et il indiquait ce qui convenait à chacune d’elles : nous avons le résumé de quelques-uns des conseils qu’il donnait pour l’exorde et la narration. Traitait-il aussi de la distinction des genres ? On n’a aucun renseignement à ce sujet ; mais on peut voir, par quelques courts fragmens, qu’il entrait dans de minutieux détails sur la partie de son art qu’il avait le plus étudiée, sur la construction de la période oratoire et le choix des mots. Ce manuel, il le lisait à ses élèves, sans doute en l’accompagnant de commentaires et d’exemples ; peut-être leur en dictait-il les parties les plus importantes,