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un sanglant et public affront. Il est vrai de dire qu’Isocrate n’aspirait point à provoquer une pareille explosion ; son discours se termine par un appel à la conciliation et à la concorde.

C’eût été pour les critiques un curieux sujet d’étude que de pou-- voir lire l’un à côté de l’autre le panégyrique de Lysias et le panégyrique d’Isocrate. Malheureusement du discours de Lysias il ne reste que l’exorde, à peine une page. Ce qu’on peut croire, c’est que Lysias, effrayé, comme Isocrate, de voir la Grèce s’affaiblir et s’user dans ses luttes intestines, jugeait mieux que lui la situation. Sans doute il ne tournait pas ses regards du côté de l’horizon où devait se former l’orage : personne alors ne pensait à la Macédoine ; mais il sentait que la Perse n’était peut-être point le plus dangereux ennemi, il avait peur de ces monarchies militaires que travaillaient alors à construire sur les ruines des libertés municipales des hommes énergiques et ambitieux, les Mausole, les Jason, les Denys de Syracuse. Isocrate, lui, ne songe qu’aux Perses. Comme ces virtuoses qui, pendant vingt et trente ans, répètent toujours dans les concerts le même morceau de bravoure, Isocrate ne s’adresse jamais aux Grecs sans les provoquer à une sorte de croisade contre la Perse. Cette guerre nationale lui fournit une belle, une riche matière oratoire ; il n’en demande pas plus, et, tout entier à son thème favori, il oublie lui-même, il fait oublier à ceux qui l’écoutent qu’il est pour la Grèce d’autres menaces et d’autres périls.

Dans l’exorde du Panégyrique, Isocrate raille ceux qui ont « l’esprit naïf et qui sont étrangers aux affaires ; » mais il prouve, quelques lignes plus bas, combien il a peu lui-même le sens pratique et comme il connaît mal les hommes. Selon lui, ce qui surtout empêche et retarde cette réconciliation si désirée, à laquelle les Athéniens sont tout disposés à se prêter, c’est l’orgueil et l’ambition des Lacédémoniens, qui veulent commander en maîtres dans toute la Grèce ; cependant ne se flatte-t-il pas de leur donner de si bonnes raisons et si bien présentées qu’ils vont se déclarer convaincus et renoncer d’eux-mêmes à leur suprématie ? Isocrate avait vraiment trop bonne opinion de son propre talent et de la nature humaine. Peuples ou princes, les despotes n’abdiquent que par peur, quelquefois par lassitude, par dégoût. Son panégyrique ne fit pas les miracles qu’en espérait l’auteur. Les Spartiates n’étaient pas grands lecteurs ; si quelques-uns d’entre eux, Agésilas et les éphores, parcoururent cet ouvrage, ils se bornèrent sans doute à sourire de la vanité et de la faconde athénienne ; mais sur les autres Grecs et sur les Athéniens l’impression dut être profonde. Dans les villes grecques d’Asie, livrées par la paix d’Antalcidas aux satrapes perses, dans les îles, que désolait la piraterie toujours renaissante, dans les cités de la Grèce continentale qui, comme Corinthe, Mantinée,